Essai avec titre

Nom de l'auteur

medium_dragon

Medium-sized Dragoon

 

Lorsque les Français reportent leurs sou­venirs vers la guerre de l'indépendance hispa­nique, ils n'y rencontrent pas les mêmes sujets de fierté pa­triotique et de satisfaction nationale que l'Es­pagne.

 

A...INTRODUCTION

 

 Elle leur rappelle aussi toutefois  et c'est la seule chose à laquelle ils puissent songer sans regret  que cette terrible guerre, précisément parce qu'elle a été plus longue, plus difficile, plus acharnée qu'aucune autre, a été celle qui a le mieux mis en lumière les admirables qualités militaires du soldat français d'abord, de ce soldat dont Wellington a si magnifiquement loué la vaillance et l'endurance. Elle a été la rude école à laquelle s'est formée toute une génération d'officiers d'élite, destinés à une carrière militaire in­également célèbre, mais toujours belle, Bugeaud, Valée, Damrémont, Chlopicki, Rogniat, Haxo. Elle a été enfin le théâtre sur lequel, si la réputa­tion militaire et morale de la plupart des maré­chaux de Napoléon s'est obscurcie, se sont mani­festées au contraire dans tout leur éclat les émi­nentes qualités d'un chef dont Napoléon disait à Sainte-Hélène qu'il était sans doute le premier homme de guerre que la France alors possédât, d'un homme chez qui, au témoignage de Napo­léon encore, l'esprit et le caractère s'étaient ac­crus de façon à surprendre. Ce chef, c'est le ma­réchal Suchet, le vainqueur de Maria, de Belchite et de Sagonte, le conquérant de Lérida, de Me­quinenza, de Tortose, de Tarragone, de Va­lence, le seul général qui ait traversé la dure épreuve de cette guerre sans revers et sans dé­faillance, le seul qui ait ramené son armée intacte de cette Espagne qui avait été le tombeau des Français, le seul qui ait sauvé jusqu'au bout l'honneur des armes, le seul enfin qui ait conquis quelque chose de plus précieux et de plus diffi­cile que des villes et des provinces, l'estime et la confiance des populations sur lesquelles il a dû faire peser le poids de l'occupation étrangère.

Suchet, dans ses Mémoires, parle même d'affec­tion et il se pique d'avoir fait aimer le nom fran­çais en Espagne. Il insiste volontiers sur les rap­ports cordiaux qui, à la longue, s'établissaient parfois entre les populations et les troupes fran­çaises, comme à Caspe, par exemple, où le 115° de ligne, qui y fut établi pendant la plus grande partie de la guerre, avait acquis au plus haut point la sympathie des habitants1 : il rappelle l'accueil amical des dames de Saragosse à la comtesse Suchet, lorsque celle-ci, comme il lui arriva plusieurs fois, ne craignait pas de rejoindre son mari, sans se laisser arrêter par les dangers de cette route et les terribles menaces des chefs de bandes, dont un, Sarraza, sachant qu'elle allait passer et qu'elle était enceinte, se réjouissait d'avoir cette occasion de supprimer deux Français d'un seul coup; il raconte longuement les fêtes, les réjouissances, les arcs de triomphe, les illuminations, dont Saragossais et Valenciens étaient prodigues lorsqu'il revenait parmi eux au retour de quelque expédition victorieuse. Il pense que l'occupation française avait fini, grâce à lui, par être considérée par les Aragonais et les Valenciens comme une sauvegarde et comme un bienfait2.

Ce chef, c'est le ma­réchal Suchet, le vainqueur de Maria, de Belchite et de Sagonte, le conquérant de Lérida, de Me­quinenza, de Tortose, de Tarragone, de Va­lence, le seul général qui ait traversé la dure épreuve de cette guerre sans revers et sans dé­faillance, le seul qui ait ramené son armée intacte de cette Espagne qui avait été le tombeau des Français, le seul qui ait sauvé jusqu'au bout l'honneur des armes, le seul enfin qui ait conquis quelque chose de plus précieux et de plus diffi­cile que des villes et des provinces, l'estime et la confiance des populations sur lesquelles il a dû faire peser le poids de l'occupation étrangère.

Suchet, dans ses Mémoires, parle même d'affec­tion et il se pique d'avoir fait aimer le nom fran­çais en Espagne. Il insiste volontiers sur les rap­ports cordiaux qui, à la longue, s'établissaient parfois entre les populations et les troupes fran­çaises, comme à Caspe, par exemple, où le 115° de ligne, qui y fut établi pendant la plus grande partie de la guerre, avait acquis au plus haut point la sympathie des habitants : il rappelle l'accueil amical des dames de Saragosse à la comtesse Suchet, lorsque celle-ci, comme il lui arriva plusieurs fois, ne craignait pas de rejoindre son mari, sans se laisser arrêter par les dangers de cette route et les terribles menaces des chefs de bandes, dont un, Sarraza, sachant qu'elle allait passer et qu'elle était enceinte, se réjouissait d'avoir cette occasion de supprimer deux Français d'un seul coup; il raconte longuement les fêtes, les réjouissances, les arcs de triomphe, les illuminations, dont Saragossais et Valenciens étaient prodigues lorsqu'il revenait parmi eux au retour de quelque expédition victorieuse. Il pense que l'occupation française avait fini, grâce à lui, par être considérée par les Aragonais et les Valenciens comme une sauvegarde et comme un bienfait.

 

BigDragon

Big-Sized Dragoon

 

Ce serait peut-être se faire illusion que de le croire avec lui. En tout temps et en tout pays, tout pouvoir établi, même précairement établi, obtient des adhésions et des démonstrations extérieures sur la valeur et sur la spontanéité desquelles il est fort enclin à se faire des illusions; et ce sont des témoignages espagnols qu'il serait plus sûr de consulter pour être vraiment édifié sur la signification exacte des lampions allumés à Saragosse pour la naissance du roi de Rome ou pour la prise de Tarragone. Il n'est pas besoin d'ailleurs d'autre lecture que celle des Mémoires de Suchet lui-même pour constater combien cet attachement si vanté résistait mal à une absence un peu prolongée, à une mauvaise nouvelle, à une diminution visible des garnisons françaises, ou à l'approche de quelque bande de guérillas : lui-même en convient très loyalement. Tout n'est pas inexact, cependant, dans,ce qu'il relate de ces témoignages de bon vouloir et de ces symptômes d'apaisement; et nous resterons, je crois, dans la note exacte, en disant, non seulement avec Suchet, mais avec bien d'autres témoins fort à portée de bien voir3, que l'Espagne sut parfois distinguer entre la politique du gouvernement français, à laquelle elle avait déclaré une guerre à mort, et les agents de ce gouvernement, lorsqu'ils faisaient leur possible pour ménager moralement et matériellement les populations, et leur adoucir les maux de la guerre; il a pu arriver, dans ce cas, qu'elle leur sût gré de leurs bonnes intentions.

En 1813, alors que la domination napoléonienne s'écroule de toutes parts, cette même armée d'Aragon masque encore quelque temps la dé­faite, fait tête partout, au Nord et au Midi, se maintient dans ses conquêtes, et s'y serait mainte­nue plus longtemps si le grand désastre de Vito­ria n'avait alors définitivement condamné l'entreprise de Napoléon sur l'Espagne, et n'avait forcé l'envahisseur à ne plus combattre désormais que pour la sûreté de ses propres frontières, qu'il ne devait pas d'ailleurs réussir à préserver de l'in­vasion.

Il n'est pas besoin d'ailleurs d'autre lecture que celle des Mémoires de Suchet lui-même pour constater combien cet attachement si vanté résistait mal à une absence un peu prolongée, à une mauvaise nouvelle, à une diminution visible des garnisons françaises, ou à l'approche de quelque bande de guérillas : lui-même en convient très loyalement. Tout n'est pas inexact, cependant, dans,ce qu'il relate de ces témoignages de bon vouloir et de ces symptômes d'apaisement; et nous resterons, je crois, dans la note exacte, en disant, non seulement avec Suchet, mais avec bien d'autres témoins fort à portée de bien voir3, que l'Espagne sut parfois distinguer entre la politique du gouvernement français, à laquelle elle avait déclaré une guerre à mort, et les agents de ce gouvernement, lorsqu'ils faisaient leur possible pour ménager moralement et matériellement les populations, et leur adoucir les maux de la guerre; il a pu arriver, dans ce cas, qu'elle leur sût gré de leurs bonnes intentions.

Or nul, plus que Suchet, n'a eu de ces mé­nagements, nul n'a mieux réussi à adoucir ces maux, nul n'a donné plus de régularité et pour ainsi dire plus de bonne tenue à l'administration française. Des hommes distin­gués du pays n'hésitèrent pas à prêter leur concours à une administration dont ils reconnais­saient la loyauté, la justice et les bonnes inten­tions; le maintien des mêmes institutions, et sou­vent du même personnel, contribua d'autre part à calmer les esprits et à diminuer les résistances. Les deux provinces que Suchet a administrées, l'Aragon et le royaume de Valence, sont peutêtre celles qui avaient, au début, manifesté le plus d'exaspération contre l'envahisseur, et payé le plus largement leur dette à la cause de l'indépendance nationale. Elles ont ensuite supporté l'oc­cupation française avec plus de facilité qu'elles mêmes ne l'auraient certainement cru possible. Surprenante métamorphose, qui ne fait pas peu d'honneur à l'habileté et à la droiture de l'homme à qui incombait la tâche difficile d'obtenir de ces esprits exaltés la résignation au joug étranger. En peu de temps il eut fait de ce 3° corps, de formation nouvelle, extrê­mement éprouvé, moralement et matériellement, par le siège de Saragosse, un modèle d'endu­rance, d'entrain, et d'esprit militaire, digne en tout des troupes d'élite qu'il venait de quitter à son grand regret. Alors commence une période presque ininterrompue de succès retentissants, la conquête de l'Aragon affermie, Lérida, Tortose et Tarragone prises, le royaume de Valence occupé : Valence, le dernier trophée des Français en Espagne, Valence, dont la conquête célébrée à Paris comme devant entraîner la soumission de toute la péninsule, ne devait servir qu'à couvrir la retraite des autres armées françaises, pour lesquelles avait désormais sonné l'heure des revers.

 

B...DEUXIÈME PARTIE

Ce serait peut-être se faire illusion que de le croire avec lui. En tout temps et en tout pays, tout pouvoir établi, même précairement établi, obtient des adhésions et des démonstrations exté­rieures sur la valeur et sur la spontanéité desquelles il est fort enclin à se faire des illusions; et ce sont des témoignages espagnols qu'il serait plus sûr de consulter pour être vraiment édifié sur la signification exacte des lampions allumés à Saragosse pour la naissance du roi de Rome ou pour la prise de Tarragone.

En 1813, alors que la domination napoléonienne s'écroule de toutes parts, cette même armée d'Aragon masque encore quelque temps la dé­faite, fait tête partout, au Nord et au Midi, se maintient dans ses conquêtes, et s'y serait mainte­nue plus longtemps si le grand désastre de Vito­ria n'avait alors définitivement condamné l'entreprise de Napoléon sur l'Espagne, et n'avait forcé l'envahisseur à ne plus combattre désormais que pour la sûreté de ses propres frontières, qu'il ne devait pas d'ailleurs réussir à préserver de l'in­vasion.

petit_dragon

 

Small-sized Dragoon

 

 

 

 

FIN

 

1   Mémoires de Suchet, I, 260. - Cf. sa lettre du 17 .juillet 1813 au ministre de la guerre où il raconte les soins et même les prévenances des villages des provinces do Valence et de Castellon de la Plana pour l'armée française,pendant qu'elle évacuait à tout jamais le royaume de Valence.

2    Mémoires, 1, 316, 318, et passim

3   Fée : «... Notre administration, quand elle était régularisée, n'était point oppressive... J'ai vu des Espagnols oublier, peut-être à leur insu, que nous étions leurs ennemis... »

Saint-Chamans : «... Les Espagnols, malgré la haine qu'ils portaient à notre gouvernement, étaient justes pour nous, et si tous nos corps d'armée en Espagne avaient été aussi bien disciplinés et administrés que ceux commandés par Soult et par Suchet, nous nous serions établis dans les provinces conquises de manière à n'en être pas chassés facilement; mais l'indiscipline de nos troupes dans d'autres parties de l'Espagne, les désordres de toute nature qu'elles commettaient, la soif d'argent de quelques généraux, les dilapidations et les vols de la plupart des agents de l'administration militaire.,, ruinèrent nos affaires dans ce pays et nous aliénèrent toute la nation. »