Dans ces deux Länder d'ex-RDA, les indicateurs sont au vert. Cependant, cette prospérité oublie beaucoup de secteurs, suscitant des rancurs
Ala veille d'élections régionales aux enjeux importants en Saxe et dans le Brandebourg, la fermeture annoncée de toutes les mines de lignite du pays à l'horizon 2038 nourrit le ressentiment dans ces deux Länderde l'ancienne Allemagne de l'Est. La Lusace, région minière en déclin et à cheval sur ces deux Etats, verra disparaître des milliers d'emplois. " Le secteur du lignite représente 4 % de la masse salariale totale en Lusace. C'est beaucoup par rapport aux autres bassins miniers ", observe Oliver Holtemöller, chef du département de macroéconomie de l'Institut Leibniz de recherche économique de Halle.
Surfant sur ces rancurs, le parti d'extrême droite AfD est en passe de remporter plus de 20 % des voix dans les deux Länder lors des élections de dimanche 1er septembre. Cela pourrait compliquer la formation de majorités stables. Un résultat calamiteux pour les partis de gouvernement pourrait aussi avoir des retombées sur la politique nationale. Face à l'urgence, le gouvernement d'Angela Merkel a adopté, mercredi 28 août, un projet de loi allouant 40 milliards d'euros à la reconversion des régions minières sur vingt ans. Une part importante de ces fonds ira à la Lusace. La décision de Berlin suit les recommandations d'un rapport d'experts publié en janvier, mais la date de cette annonce n'est pas anodine.
Le débat sur l'avenir de la Lusace, et des autres régions déclassées du Brandebourg et de Saxe, ferait presque oublier que dans ces deux Etats régionaux d'ex-RDA, de nombreux indicateurs économiques et sociaux sont passés au vert. En matière d'éducation, notamment, la Saxe est première de la classe au niveau national. C'est ce qu'a confirmé la nouvelle édition de l'enquête annuelle baptisée " Observatoire de l'éducation ". Réalisée par l'institut IW de Cologne, cette étude compare la performance des systèmes éducatifs – décentralisés dans le pays – des 16 Länder sur la base de 93 indicateurs.
Et les derniers résultats, tombés jeudi 15 août, sont sans appel : pour la quatorzième année, la Saxe occupe la première place du classement national, d'après l'analyse livrée dans le pavé de 259 pages. Les écoles de la région devancent une nouvelle fois celles de la prospère Bavière, et de tout le pays, tant pour la qualité des programmes scolaires que le nombre d'enseignants ou les moyens mis à leur disposition. " Le gouvernement saxon mise depuis longtemps sur l'éducation, avec des réussites incontestables ", explique Joachim Ragnitz, directeur adjoint de la succursale est-allemande de l'institut économique Ifo, à Dresde.
Le Brandebourg voisin fait moins bien en matière d'éducation, mais il tire son épingle du jeu dans d'autres domaines. Au premier chef, l'emploi : près de trois décennies après le cataclysme économique provoqué par la réunification, le taux de chômage a fortement décru dans tous les Länder de l'est, et en particulier dans le Brandebourg et en Saxe, où il est tombé en juillet à 5,7 % et 5,3 % respectivement, après avoir culminé à plus de 18 % dans les deux régions en 2005.
Les derniers chiffres restent au-dessus de la moyenne nationale (de 5 %), et sont bien meilleurs que dans des régions de l'ouest comme Hambourg, la Sarre ou la Rhénanie du Nord-Westphalie. " C'est le meilleur mois de juillet depuis le début de nos statistiques, en 1991 ", se réjouit Heiko Wendrock, porte-parole de l'antenne saxonne de l'agence fédérale pour l'emploi. " Globalement, le marché du travail en Saxe est stable et robuste ".
Un dense réseau de start-upLes raisons de cette embellie économique ne sont pas les mêmes dans les deux régions. " Le Brandebourg profite du dynamisme de Berlin ", résume Oliver Holtemöller. C'est d'autant plus vrai pour les communes et cantons limitrophes, notamment Potsdam, la capitale régionale, aux palais et monuments prussiens élégamment restaurés. Plus de 200 000 résidents du Brandebourg travaillent à Berlin, tandis que de nombreuses entreprises s'installent à la périphérie berlinoise, profitant d'un foncier plus abordable. D'ailleurs, les infrastructures de la capitale allemande et de sa région voisine sont imbriquées : Schönefeld, le deuxième aéroport berlinois, est dans le Brandebourg, de même que le futur aéroport international.
La Saxe, elle, fait preuve d'un dynamisme économique plus endogène. " Comparée aux autres Länder de l'est, c'est une région fortement industrialisée, et les entreprises saxonnes sont plus présentes dans la recherche et l'innovation, souligne Joachim Ragnitz. C'est une structure économique globalement plus moderne. " Au fil des années, un dense réseau de start-up et d'entreprises innovantes s'est constitué autour de la prestigieuse université technique de Dresde. Selon le lobby Silicon Saxony, qui regroupe 350 sociétés ou instituts de recherche spécialisés dans la haute technologie dans la région, le secteur y emploie 64 000 personnes, soit 4 % de la population active saxonne. A l'exception de Berlin, les deux plus grandes villes d'ex-RDA, Leipzig et Dresde, sont en Saxe, et leur attractivité économique continue de s'accroître.
Mais ce tableau encourageant masque de fortes disparités locales. " Dès qu'on s'éloigne de Berlin, une grande partie du Brandebourg a encore une économie très agricole et structurellement faible ", note M. Ragnitz. En 2018, les deux lanternes rouges du classement national des villes et districts en fonction du salaire moyen étaient en Saxe, selon une étude de l'agence fédérale pour l'emploi publiée en août : à Görlitz, à la frontière polonaise, un salarié à temps plein ne touche en moyenne que 2 272 euros bruts par mois, contre 4 900 euros à Ingolstadt, le fief d'Audi, en tête du classement. " Les habitants de ces régions se sentent laissés pour compte ", assure l'économiste.
Jean-Michel Hauteville