La signature d'un accord prévoyant le rapatriement des réfugiés burundais depuis la Tanzanie inquiète les Nations unies
La paix est-elle revenue au Burundi ? C'est ce qu'assurent ses autorités et celles de la Tanzanie voisine, deux pays dont les gouvernements sont proches, afin d'expliquer, à quelques mois de nouvelles élections générales qui doivent avoir lieu au Burundi en mai 2020, la signature d'un accord prévoyant le rapatriement des réfugiés burundais depuis le sol tanzanien à partir du 1er octobre. Une décision qui inquiète le Haut-Commissariat de l'ONU pour les réfugiés (HCR) : " Si la sécurité s'est globalement améliorée, le HCR estime que la situation au Burundi n'est pas, à l'heure actuelle, de nature à encourager les retours. Le HCR appelle les Etats à s'assurer qu'aucun réfugié ne soit renvoyé au Burundi contre son gré. "
Sur environ 400 000 Burundais réfugiés dans les pays de la région depuis les violences qui ont éclaté dans leur pays en avril 2015, lors de l'annonce d'une troisième candidature à la présidentielle de Pierre Nkurunziza, la moitié environ se trouve en Tanzanie, et principalement dans la région de Kigoma, au bord du lac Tanganyika. Un lieu qui permet d'atteindre en bateau le Burundi ou, en face, les rivages de la République démocratique du Congo (RDC). C'est de là qu'historiquement le CNDD-FDD (Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces pour la défense de la démocratie), la rébellion que dirigeait Pierre Nkurunziza, avait sa base arrière pendant la guerre civile (1993-2003), avec le soutien tacite de la Tanzanie.
Depuis 2005, le CNDD-FDD, transformé en parti politique, est au pouvoir au Burundi, et n'entend pas voir l'histoire balbutier à Kigoma, en laissant s'y constituer un réservoir d'opposants susceptibles d'alimenter d'éventuels mouvements rebelles. Les réfugiés burundais avaient fui leur pays après la vague de répression déclenchée en 2015 par des manifestations et une tentative de coup d'Etat en mai pour protester contre le maintien au pouvoir de M. Nkurunziza. Enlèvements, disparitions, torture : le pouvoir avait mis en place une machine pour écraser toute contestation. Les opposants, l'élite tutsi soupçonnée de leur témoigner de la sympathie, mais aussi des paysans de certaines parties du pays ont pris le chemin de l'exil. Il y a eu au moins 1 200 morts, dont de nombreux " disparus ", assassinés.
Explosion de cas de paludismeDepuis, le CNDD-FDD a rétabli une forme de calme. " C'est une paix de cimetière, estime Benjamin Chemouni, chercheur au département de politique et de relations internationales de l'université de Cambridge. Des violences continuent de se produire, mais à une échelle moindre. Seulement, l'économie du pays est atone, elle est même dans une situation pire que lors de la guerre civile. " Une explosion du nombre de cas de paludisme (que le gouvernement n'a pas souhaité classer en épidémie) a fait 1 800 morts depuis début 2019, ce qui, remarque Benjamin Chemouni, " correspond à peu près au nombre de victimes d'Ebola en RDC - qui vient de dépasser le cap des 2 000 victimes - ".
L'approche de l'échéance de la présidentielle, des législatives et des communales au Burundi, le 20 mai, entraîne un retour des tensions. Une taxe spéciale – obligatoire et mensuelle pour les fonctionnaires, " guidée par leur propre volonté et par le sens patriotique de chaque contributeur " pour les autres – a été créée et devait être perçue jusqu'en décembre. Pour la majorité de la population, en milieu rural, elle a été fixée à 2 000 francs burundais (environ 1 euro). " C'est une somme importante dans les collines où la grande majorité de la population ne tient que grâce à l'agriculture de subsistance ", estimeGuillaume Nicaise, chercheur au laboratoire UF4 du Christian Michelsen Institute, en Norvège, qui a mené un long travail de terrain sur les questions de taxations locales au Burundi.
Plusieurs sources témoignent des multiples excès auxquels se sont livrés, des mois durant, les membres des services de sécurité assistés de l'organisation de jeunesse du CNDD-FDD, les Imbonerakure (ceux qui voient loin), pour extorquer cette taxe, provoquant un mécontentement général. " Avant 2015, il y avait différents partis politiques représentés dans les institutions locales. Depuis la crise, c'est terminé. Tout est sous contrôle du CNDD-FDD et personne ne voit de bénéfices des contributions. C'est la raison pour laquelle il y a tant de mécontentement face à la levée de l'impôt ", ajoute le chercheur.
Aux barrages, établis sur de nombreux axes, on refuse le passage aux personnes ne pouvant produire la quittance certifiant le paiement de cette contribution, allant jusqu'à " interdire l'accès des paysans aux marchés ", note une source. En juillet, Pierre Nkurunziza a annoncé la fin de cette campagne, qui risquait de mettre le feu à certaines régions. Par ailleurs, les excès des Imbonerakure, que les Nations unies qualifient de milice et qui opèrent dans des structures parallèles, au cur de l'Etat, ont été dénoncés par des responsables de l'administration, y compris au sein du CNDD-FDD, comme l'ex-gouverneur de la province de Bururi (sud du pays), qui a passé un décret interdisant " le sport de masse, de nuit, avec des gourdins ".
Ce n'est pas la seule manifestation de violence en cours. Bien qu'il reste près de neuf mois avant le scrutin, le dernier parti jouant le rôle d'opposition au Burundi, le Congrès national pour la liberté (CNL) d'Agathon Rwasa, subit des intimidations et exactions. Plus de vingt-trois permanences de son parti, agréé en février, ont été saccagées ou détruites. Ses militants, de retour de réunions, sont attaqués par des Imbonerakure. Parfois enlevés, torturés, tués. " La justice semble absente, l'administration semble impuissante, constate Agathon Rwasa, joint au téléphone, avant de conclure : On fait flèche de tout bois pour nous empêcher de fonctionner, mais qu'il pleuve ou qu'il vente, on va gagner cette élection. "
Jean-Philippe Rémy