WeCompany, maison mère du leader des bureaux partagés WeWork, espère lever jusqu'à 6 milliards de dollars
Ce devrait être la prochaine introduction en Bourse majeure aux Etats-Unis. Après avoir rempli, à la mi-août, les documents sur la situation économique de la société, la WeCompany, maison mère de WeWork, géant mondial des bureaux partagés, pourrait faire ses premiers pas sur les marchés dès septembre. Son objectif : lever entre 3 milliards et 6 milliards de dollars (2,7 milliards à 5,4 milliards d'euros). On devrait en savoir davantage après une réunion avec les investisseurs programmée le 31 août.
Depuis son annonce, l'opération suscite des réactions des plus mitigées. Certes, WeWork peut se prévaloir d'avoir " disrupté " son secteur. En un an, l'entreprise, présente dans 111 villes et 29 pays à travers le monde, a plus que doublé le nombre de ses utilisateurs (527 000) et son chiffre d'affaires (1,54 milliard de dollars au premier semestre) et se présente désormais comme le leader de son marché, au coude-à-coude avec IWG. Dans le même temps, la société ne cesse de creuser ses pertes. Sur les six premiers mois de l'année, celles-ci s'élèvent à 690 millions de dollars, en légère augmentation par rapport à l'année passée.
Par ailleurs, WeWork a révélé dans son document d'introduction des éléments de nature à inquiéter les investisseurs : des montages financiers alambiqués, un dirigeant qui loue lui-même des locaux à sa société et se fait indemniser pour la vente du nouveau nom de la compagnie qu'il a lui-même déposé.
Entre indicateurs économiques inquiétants et gestion opaque, WeWork, valorisée à 47 milliards de dollars, s'est attiré les railleries de nombreux observateurs, comme ce professeur d'économie, Scott Galloway, auteur de livres à succès, qui a affublé la société du sobriquet " WE WTF " (" nous, c'est quoi ce délire ? "). Ajoutant, cinglant : " Tout analyste qui soutiendrait cette action au-delà d'une valorisation de 10 milliards de dollars serait un menteur, un idiot, ou les deux à la fois. " " WeWork, c'est le cumul de tous les extrêmes possibles ", abonde Réza Malekzadeh, partenaire chez Partech.
Malgré cet accueil peu encourageant, l'opération s'annonce comme l'un des temps forts de l'année sur les marchés. Jusque-là, c'est Uber qui a réalisé le plus gros coup en réussissant à lever 8,1 milliards de dollars lors de son entrée en Bourse, ce qui en fait la 9e plus importante IPO (Initial Public Offering) de l'histoire aux Etats-Unis. Slack (messagerie d'entreprise), coté depuis fin juin, arrive juste derrière (7,4 milliards).
Plus généralement, les valeurs tech ont été les principales animatrices des marchés, avec des sociétés comme Lyft, Pinterest, Zoom ou certaines plus méconnues, comme Beyond Meat ou CrowdStrike. Peloton, qui ambitionne de révolutionner la pratique du vélo d'appartement, a lui aussi déposé son dossier pour entrer en Bourse. De son côté, Airbnb s'est dit prêt à franchir le pas d'ici à la fin de l'année.
Pour Augustin Sayer, de NewFund Capital, spécialiste du capital-risque, cet appétit des sociétés tech pour la Bourse s'explique aisément. " Ces boîtes brûlent énormément d'argent et, à un moment, les fonds qui les soutenaient ne peuvent plus suivre, donc il leur faut lever de l'argent sur le marché public. " Ainsi, WeWork – qui a pourtant déjà levé 8,4 milliards de dollars en neuf ans d'existence – aurait besoin d'encore environ 8 milliards à 9 milliards pour continuer à se développer avant d'atteindre le seuil de rentabilité…
Le sommet est accessibleLe passé récent montre cependant que tous ne réussissent pas toujours aussi bien l'épreuve du feu du passage en Bourse. Le titre Uber – encore une société qui aligne les exercices déficitaires, pas moins de 5,2 milliards de dollars lors du dernier trimestre – a été malmené, perdant un quart de sa valeur. Son concurrent Lyft, coté depuis fin mars, a fait pire (– 33 %). A l'inverse de Zoom ou de Pinterest, qui ont pris environ 50 %, sans parler d'un Beyond Meat, dont les steaks végétaux affolent les marchés : en trois mois, la valeur de l'action a presque quadruplé, avant de retomber légèrement. Même si certaines valeurs tech déçoivent, elles restent pour beaucoup " des paris plus que raisonnables pour les investisseurs ", estime Réza Malekzadeh.
En début d'année, nombreux étaient les spécialistes des marchés à prédire que le montant des IPO dans la tech allait franchir un nouveau record en 2019. Une prédiction à laquelle se tient encore le cabinet d'affaires Linklaters, qui, au terme du premier semestre, a tiré un premier bilan. Avec 17,1 milliards levés sur les six premiers mois – dont 5 IPO à plus d'un milliard –, tout indique que le sommet atteint en 2000 (22,5 milliards) est tout à fait accessible.
D'autant que, malgré des éléments perturbateurs – tensions commerciales entre les Etats-Unis et la Chine, risque de récession –, la Bourse a rarement été aussi généreuse avec ces sociétés du nouveau monde. Selon un calcul effectué par Crunchbase, celles-ci sont en moyenne valorisées à 10 fois leur chiffre d'affaires, quand elles ne l'étaient que dans un rapport de 1 à 3 au début de la décennie. Ce qui devrait inciter d'autres sociétés à accélérer leur entrée en Bourse.
Mais si 2000 reste l'année de référence en termes de montants levés sur les marchés par les entreprises de la tech, c'est aussi l'année qui a vu la bulle Internet éclater. Si la valorisation des sociétés à leur entrée en Bourse est sensiblement moins élevée qu'en 2000 (près de 50 fois les revenus), un indicateur est tout de même marquant : la proportion des sociétés tech qui sont profitables au moment de leur entrée en Bourse était en 2018 sensiblement aussi faible qu'en 2000 : à peine 16 %, contre 14 % au tournant du siècle.
Un argument que repousse Augustin Sayer. D'abord parce que, selon lui, les investisseurs acceptent beaucoup plus facilement cette prise de risque, se concentrant davantage sur la croissance et le potentiel de marché de ces entreprises. Et parce que les sociétés qui se lancent aujourd'hui en Bourse ont " un business model beaucoup plus accompli et des marchés beaucoup plus gros que dans les années 2000 ". Et d'ajouter : " On ne peut pas regarder l'évolution du marché avec le même spectre que dans les années 2000. Aujourd'hui, on a besoin de beaucoup plus d'argent si on veut continuer à créer des géants technologiques. " De l'argent, WeWork ne demande que ça.
Vincent Fagot