Manger demain 1 | 6 Le pays a mis au point un modèle selon lequel l'élevage intensif de la viande la plus consommée au monde se pare de préoccupations environnementales
L'extérieur est austère : deux vastes rectangles vert sapin, hermétiques, sans fenêtres, au milieu d'une plaine. A l'intérieur, après être passé par un sas et avoir enfilé une surtenue de protection, une perspective saisit : dans une semi-pénombre, d'immenses rangées d'étagères en acier apparaissent, sur six niveaux, éclairées de petites LED. Une odeur âcre pique le nez, celle de l'ammoniac dégagé par les fientes.
Et puis, malgré un bruit assourdissant de soufflerie, on distingue un piaillement continu : celui de milliers de poussins. Ils sont 160 000, âgés de 5 jours, arrivés dans cette ferme encore dans leur coquille, directement depuis l'écloserie. Ils resteront entre trente-deux et trente-six jours dans ce bâtiment, juste de quoi atteindre la taille standard de 2 kg à 2,5 kg avant d'être envoyés à l'abattoir. Sans avoir rien connu d'autre que leur étagère à LED. Après eux, un nouveau lot de poussins viendra prendre la place… Une rotation répétée sept à huit fois par an.
A Middenmeer, dans la petite péninsule au nord d'Amsterdam, bâtiments d'élevage, serres horticoles et gigantesques centres de données se disputent les hectares disponibles. C'est sur ces terres situées au-dessous du niveau de la mer qu'Erik Weel et son frère Marcel ont installé, en 2015, leur élevage de poulets futuriste : dans deux constructions sur pilotis séparées par des silos à grains, ils élèvent ici en permanence 320 000 poulets de chair. Une société néerlandaise, Vencomatic, a équipé la ferme de ce système à étagères, joliment baptisé " patio ", mais dont le concept évoque moins les cours carrelées andalouses qu'un meuble de rangement suédois.
Présence humaine réduite au minimumLes Pays-Bas (17 millions d'habitants) abritent l'une des plus fortes densités de poulets au monde : près de 42 millions de volailles sur une superficie légèrement supérieure à la région Centre-Val de Loire. Pas étonnant que l'idée d'élever les poulets sur plusieurs niveaux ait germé ici.
Plutôt que d'utiliser des terres au sol, le principe du patio consiste à occuper l'espace en hauteur. Dans ce modèle, les poussins ne volettent pas, ne se perchent pas. La densité est de 21 oiseaux par mètre carré. Lorsqu'ils atteignent leur taille maximale, cette densité est de 42 kg/m2, soit le maximum autorisé par la législation européenne. La technologie est omniprésente : contrôle des émissions de CO2 ou de particules fines, luminosité programmée pour simuler le jour ou diffuser une lueur bleutée censée apaiser les volatiles. La présence humaine, elle, est réduite au minimum ; seules trois personnes sont nécessaires au quotidien pour l'entretien du gigantesque poulailler, avec le renfort de six personnes lorsqu'il faut charger les poulets pour l'abattoir.
Bien loin de l'image champêtre du poulet de basse-cour, l'élevage sur étagère vise, selon ses partisans, à obtenir une viande nourrissante, dans un environnement sanitaire maîtrisé. " Nous avons cherché à être les plus innovants possible, explique Winfried van de Laar, responsable des ventes des installations patio pour Vencomatic. Pour fabriquer de bons équipements, à même de favoriser le comportement naturel des oiseaux, nous avons dû penser comme si nous étions des poulets. " L'entreprise se prévaut de limiter la propagation de maladies grâce à son modèle, et donc de réduire l'usage d'antibiotiques, dont l'utilisation dans les élevages est accusée d'avoir favorisé l'antibiorésistance. En 2018, l'Organisation mondiale de la santé estimait que cette dernière constituait " l'une des plus grandes menaces pesant sur la santé mondiale ". Dans la ferme des frères Weel, les antibiotiques ont été réduits de 60 % à 70 %, et seuls 1 % à 2 % des poulets sont traités – un effort qui s'aligne sur la tendance aux Pays-Bas, où les ventes d'antimicrobiens pour un usage vétérinaire ont chuté de 74 % depuis 2009. Peter Digs, employé dans la ferme de Middenmeer depuis quelques mois, en est convaincu : " Après l'élevage en plein air, notre système est le meilleur pour produire du poulet à grande échelle. "
Image plus saine que la viande rougeLes Pays-Bas, malgré leur petite taille, sont un des plus gros acteurs agricoles au monde. A la fin de la seconde guerre mondiale, le pays avait connu l'une des dernières famines occidentales, pendant l'hiver 1944-1945, entraînant la mort de 22 000 personnes et des conséquences sanitaires sur plusieurs générations. Il en a gardé une cicatrice profonde et s'est lancé après-guerre dans une révolution agricole dans le but de produire le plus possible, en utilisant le moins de ressources possible.
Les Pays-Bas se sont ainsi mués en un géant agricole parsemé de gigantesques serres, devenant le deuxième exportateur de denrées alimentaires en valeur derrière les Etats-Unis. En 2018, le port de Rotterdam a vu transiter 16 millions de tonnes de marchandises agricoles. D'ici au début de 2021, un food hub (un pôle de 60 hectares consacrés à l'agroalimentaire) y sortira des mers, pour faciliter l'acheminement des conteneurs réfrigérés.
Le modèle néerlandais s'appuie sur un réseau dense de transports, mais surtout sur des unités de recherche et développement très poussées, faisant du pays un champion de l'agrotechnologie. Plusieurs entreprises mondialisées du secteur avicole y sont localisées : les équipementiers Vencomatic et Jansen Poultry, l'entreprise de sélection génétique Hendrix, la société de nutrition animale Nutreco, les abattoirs et usines Plukon… Ce petit pays, où les préoccupations environnementales sont très présentes, a mis au point un modèle déconcertant, qui mêle agriculture intensive et technologies les plus avancées, laissant entrevoir le virage que pourrait prendre l'agriculture demain, notamment l'élevage.
Le poulet, qui bénéficie d'une image plus saine que la viande rouge, voit sa demande croître partout dans le monde. C'est désormais la viande la plus consommée. Selon les données de l'Organisation des Nations unies pour l'agriculture et l'alimentation (FAO), 124 milliards de tonnes de poulet ont été produites en 2018, plus que le porc (120 milliards) ou le buf (71 milliards).
Cela ne devrait pas s'arrêter là. En 2019, la production devrait encore croître de 2,8 %, selon les projections de la FAO. Avec une population qui atteindra les 9,7 milliards de terriens en 2050, la demande promet de s'intensifier, notamment en Asie. La volaille est déjà l'oiseau dont on compte le plus grand nombre sur terre : on en dénombre 23 milliards aujourd'hui dans le monde, dix fois plus que n'importe quelle autre espèce volatile, et cinq fois plus qu'il y a cinquante ans.
Marcel Kuijpers croit dur comme fer que le monde entier veut manger du poulet, et pour pas trop cher. Près de la frontière allemande, en bordure de l'autoroute A73, le fermier-entrepreneur enjambe les palettes et les mares de boue qui entourent son gigantesque bâtiment d'élevage, encore partiellement en chantier. Sur l'énorme construction couleur rouille, une inscription : " Une nourriture délicieuse pour tout le monde. " Aucune référence explicite au poulet, sans doute pour ne pas trop attirer l'attention. Car le projet prévoit d'abriter à terme… près de 1 million de volatiles. Ce sera de loin le plus grand élevage des Pays-Bas, où la moyenne des exploitations spécialisées se situe à 92 000 oiseaux – en France, elle est de 30 000 poulets, selon l'Institut technique de l'aviculture.
Mais plutôt que de vanter ces chiffres éloquents, Marcel Kuijpers préfère insister sur la chaîne pleinement intégrée qu'il compte mettre en uvre de l'écloserie à l'abattage, qui se feront à terme sur place. " Dans mon modèle, il n'y aura aucun animal vivant dans des camions. Je ne veux pas qu'ils aient à subir de transport. "
Réticences des voisins et d'associationsPour dimensionner la taille de son exploitation, M. Kuijpers a d'abord estimé le nombre de volailles minimum pour faire fonctionner un abattoir de la taille la plus modeste possible. Les experts rencontrés lui ont indiqué qu'il lui faudrait abattre 32 000 poulets par jour pour rentabiliser un tel équipement. " De là, j'ai ensuite calculé qu'il me fallait élever en permanence 1 million de poulets. Ce chiffre m'a bien sûr fait peur. Mais au final, nous sommes une petite chaîne très intégrée. "
Ce projet a pourtant suscité nombre de réticences, celles des voisins, puis d'associations, qui ont déposé des recours administratifs, demandant des garanties sur le respect des normes par la ferme et retardant la naissance de cette exploitation. Aux Pays-Bas, il n'y a pas de limite à la taille des élevages, tant que ceux-ci remplissent un certain nombre de règles environnementales, sur la gestion des eaux usées, les émissions de particules fines ou de CO2.
Pour l'heure, l'entrepreneur vient de recevoir ses premiers lots de poussins. Ils ont 10 jours et pèsent 330 grammes. Ce sont les tout premiers à être hébergés ici. " Vous avez remarqué ? Ils ne fuient pas quand on s'approche, dit M. Kuijpers. C'est parce qu'ils ne sont pas stressés. J'étudie leur son. Là, ils discutent, ne crient pas. " Les poulets élevés ici sont une espèce à croissance rapide et eux aussi grandissent sur des étagères Vencomatic. " Les poulets n'aiment pas les hauts plafonds, argumente M. Kuijpers. Ils détestent avoir de l'espace au-dessus de leur tête, car ils associent cet espace aux prédateurs. " En montant son projet de gigaferme, Marcel Kuijpers a cherché à avoir le " niveau maximum " sur plusieurs indicateurs : l'eau est recyclée, le chauffage est assuré par des panneaux solaires mais aussi par la production de chaleur des poulets eux-mêmes.
" J'ai un des meilleurs taux de conversion alimentaire possible : 1,46 - pour produire 1 kg de poulet, il faut le nourrir de 1,46 kg - . Les associations me parlent d'impact environnemental, mais les poulets à croissance lente ont plus d'impact, un moins bon taux de conversion, utilisent plus de terres, émettent plus de CO2. " Surtout, l'éleveur se sent investi d'une mission quasi sociale : " Je veux faire de la nourriture pour tout le monde, pas seulement pour les riches. Le bien-être animal est un prérequis, mais ne devrait pas coûter de l'argent. "
M. Kuijpers juge obsolètes certains des critères définis par les associations : " Nous, les fermiers, ne sommes pas autorisés à avoir une opinion sur les conditions de vie des animaux, regrette-t-il. Pourtant, c'est de notre responsabilité. Je veux bien qu'on me critique, mais je ne veux pas qu'on tue mon business. "
" Pour nous, c'est assez décourageant que cette ferme soit sortie de terre, déplore Anne Hilhorst, chargée de campagne pour Wakker Dier, une ONG néerlandaise spécialisée dans la protection animale. Une fois que ce genre d'installation tournera avec 1 million de poulets, ce sera impossible de revenir en arrière et d'imaginer un autre modèle avec un accès en plein air. " Bientôt, les camions viendront chercher les poulets de Marcel Kuijpers pour les emmener à l'abattoir. Afin de ne pas dépasser la densité maximale autorisée de 42 kg/m2, 20 % des poulets partiront à l'âge de 35 jours. Les autres 80 % auront cinq jours de plus pour atteindre un poids à l'abattage de 2,2 kg. Un procédé appelé dans le jargon " thinning " en anglais (" détassage "), qui permet de rentabiliser au maximum l'espace disponible.
A quelques kilomètres de là, Ruud Zanders fait un pari différent. La ferme Kipster, à laquelle il est associé, propose un tout autre modèle. Ici, le cur de l'activité, ce sont les ufs, mais l'élevage de poulets de chair en est le volet complémentaire. Le principe-phare de cette ferme : rien ne se perd. Quelque 24 000 poules pondeuses vivent dans deux ailes séparées par un large jardin d'hiver. Les poules dorment sur un système d'étagères sur trois niveaux, mais elles ont la liberté de gambader, de gratter le sol, de se percher et de faire des bains de poussière en extérieur.
A la naissance, lorsque les poulettes sont séparées des mâles, ces derniers sont élevés pour leur chair – une pratique très rare, la plupart des élevages de poules pondeuses pratiquant l'abattage des poussins mâles. Pas d'espèce à croissance rapide ici, les mâles vivent quinze semaines, soit cent cinq jours, une longévité inhabituelle. Quant aux poules, lorsqu'elles arrivent en fin de vie, après environ quinze mois, elles sont abattues pour leur viande.
Ruud Zanders est convaincu que, pour une alimentation durable, il faut d'abord réduire notre consommation de produits animaux. Et ensuite s'assurer que, pour la production de ces derniers, " l'animal n'entre pas en compétition avec l'homme " : " Les animaux n'ont pas à manger la nourriture qui pourrait servir à l'homme, mais celle qui autrement aurait été jetée, précise Ruud Zanders. Chaque boulanger produit environ 4 % de restes que nous pouvons utiliser : farines diverses, miettes de pain et biscuits… " Les associés de Kipster se sont tournés vers le gaspillage après avoir longuement étudié, en collaboration avec l'université de Wageningen – l'un des instituts de recherche agricole les plus renommés au monde –, quelle alimentation donner à leurs poules.
Kipster s'est associé à une entreprise locale de nutrition animale, Nijsen-Granico, qui récupère des restes de l'industrie agroalimentaire, notamment boulangère, mélangés à des graines de tournesol, de colza et quelques nutriments sous forme de vitamines. En raison de cette alimentation spécifique, la production de Kipster ne peut prétendre au label bio. Mais du fait de son modèle antigaspillage, l'entreprise se targue d'une production " neutre en carbone ".
Le volume de production reste modeste : 8 millions d'ufs par an, mais seulement 48 000 volailles abattues tous les quinze mois. Mais les fondateurs de cette exploitation sont convaincus que le modèle est reproductible, et d'autres fermes sont en gestation. D'autant que l'entreprise a trouvé des débouchés à ses produits dans la grande distribution : ses ufs sont vendus chez Lidl dans tous les Pays-Bas, tandis que sa viande est transformée par une usine bouchère voisine, Chateau Briand, qui découpe et cuisine boulettes, saucisses, roulades et lamelles de poulet.
Prolifération de bactériesAux Pays-Bas, la population a un solide appétit pour la volaille. Chaque habitant en mange 18,4 kg par an, généralement sous forme de découpes ou de produits transformés. On trouve peu de poulets vendus entiers dans les boucheries ou supermarchés. L'aile ou la cuisse, très peu pour les Néerlandais, qui gardent les blancs et poitrines de poulet pour leur marché et envoient les plus bas morceaux à l'export, en Chine notamment.
Au centre du pays, la petite cité de Barneveld est la capitale historique de la volaille néerlandaise. La ville compte de nombreuses exploitations et des centres de formation. Le folklore avicole y est omniprésent : des poules peintes à la main s'affichent dans toutes les devantures de magasin, des fanions décorés de volailles ornent les rues piétonnes du centre-ville, et les poulets ont leur sculpture sur les ronds-points. L'icône locale est la barnevelder, une belle poule noire aux reflets dorés, qui a la particularité de produire à la fois des ufs et d'être consommée pour sa chair en fin de vie. La barnevelder fait la fierté de la ville, qui a même consacré un musée à l'histoire avicole de la région, où l'on peut découvrir des écloseries du XXe siècle, des incubateurs traditionnels, ainsi qu'une antique salle de vente aux enchères.
A l'autre bout de Barneveld, l'entreprise Jansen Production, qui fabrique des équipements pour poulaillers, raconte une autre histoire. Son fondateur et président, Albert Jansen, a un credo : " Take the manure out. " Traduire : il faut libérer les oiseaux de leurs fientes. Dans un langage fleuri, M. Jansen fait le constat suivant : " Pourquoi de si jolis oiseaux devraient-ils vivre dans leurs excréments ? " En dégageant de l'ammoniac, les fientes sont responsables de la prolifération de bactéries, pouvant entraîner des maladies pour les volailles et abîmer leurs pattes.
Tout le travail d'Albert Jansen a consisté à mettre au point une façon efficace de se débarrasser des matières fécales. L'entreprise a développé un équipement où les poulets sont élevés sur quatre étages, sur un sol plastique à trous qui permet de faire tomber les excréments sur une ceinture roulante. Le modèle permet d'évacuer celles-ci quotidiennement et de les faire sécher rapidement pour empêcher la formation d'ammoniac.
Sauf que… ce principe est interdit par une directive de l'Union européenne, les poulets de chair devant être élevés sur litière et non sur plastique. Une aberration, selon Albert Jansen, pour qui sa technologie est la plus à même de garantir l'hygiène et la santé des poulets. " J'ai eu de nombreuses discussions avec des responsables à Bruxelles. Qu'ils viennent passer une nuit dans un poulailler, et ils se rendront compte du problème de l'ammoniac. " L'industriel assure avoir lui-même installé son lit deux nuits dans un poulailler conventionnel. " J'étais beaucoup plus jeune à l'époque, dit-il en riant. Mais je n'arrivais plus à respirer. "
Les équipements d'Albert Jansen, à défaut d'avoir séduit Bruxelles, ont trouvé acquéreur ailleurs dans le monde. A l'entrée du siège de l'entreprise, sur une sculpture de poule dodue, les signatures des clients viennent du monde entier : Russie, Philippines, Mexique ou Arabie saoudite. Pas forcément la clientèle la plus réputée pour son engagement pour l'environnement, mais Albert Jansen est convaincu de la durabilité de son modèle : " Notre système permet de réduire la mortalité des poussins, l'usage d'antibiotiques, et la consommation d'aliments par les animaux ", assure-t-il.
Les associations de défense du bien-être animal dénoncent, elles, une technologie qui pousse la productivité au détriment des besoins naturels des bêtes : sans accès à la lumière du jour, leur cycle de sommeil se trouve perturbé ; les densités maximales auxquelles sont soumis ces volatiles les empêchent de se mouvoir ; même l'approvisionnement en nourriture automatisée rend les volailles moins mobiles et plus sujettes aux boiteries et complications musculaires.
Lisanne Stadig, de l'association Dierenbescherming (Société néerlandaise pour la protection des animaux), dénonce des élevages industrialisés dans lesquels les poulets passent du statut d'animaux à celui d'objets. Et regrette que les élevages high-tech néerlandais réduisent la question de la qualité de vie des animaux au seul paramètre sanitaire. " Produire de façon durable, en respectant le bien-être animal, ce n'est pas simplement prévenir les maladies, c'est aussi donner une vie plaisante aux animaux. "
L'association a mis au point un système de notation des élevages selon plusieurs critères : pour être référencées, les productions de volailles doivent provenir de souches à croissance lente, la densité ne doit pas excéder 25 kg/m2, les poulets doivent avoir accès à un jardin d'hiver et à un espace extérieur, pouvoir gratter le sol… Le label Beter Leven (" Une vie meilleure ") a été lancé en 2007. Dix ans plus tard, 161 exploitations avicoles des Pays-Bas sur 540 étaient labellisées, soit un peu plus de 20 % du marché des grandes surfaces.
Pression de l'opinionSous la pression d'une opinion publique sensibilisée au respect de l'environnement et à la protection animale, une partie des élevages néerlandais montent en gamme. A la suite d'une campagne-choc de l'ONG Wakker Dier qui dénonçait les plofkippen (littéralement, " les poulets qui explosent " – les poulets à croissance rapide), la majorité des chaînes de supermarché des Pays-Bas ont également abandonné ces derniers dans leurs rayons. Les plofkippen rencontrent de multiples problèmes : dans un avis rendu en 2010, l'Autorité européenne de sécurité des aliments avait conclu que la sélection génétique de souches de poulets à croissance rapide était un vecteur de maladies (dermatites, ascites et syndromes de mort subite) en raison de la croissance disproportionnée de certains organes.
" Même s'il faut aller plus loin, les évolutions du marché néerlandais sont positives, note -Lisanne Stadig. En revanche, pour le marché à l'export, c'est toujours la course à l'efficacité et à la réduction des coûts qui prédomine. " Dans un marché à deux vitesses, les plofkippen et autres poulets à faibles standards destinés à l'exportation représentent toujours la majeure partie (entre 65 % et 70 %) de la production avicole néerlandaise, avec pour destinations principales l'Allemagne, le Royaume-Uni, la Belgique, et, au-delà des frontières européennes, la Chine.
Quand on interroge les responsables de la ferme de Middenmeer sur la finalité de leurs 360 000 poulets après abattage, la réponse est évidente : l'exportation et la transformation industrielle. Ces volailles-là ne peuvent prétendre au label Beter Leven et ne trouveront pas place dans les rayons de boucherie des Pays-Bas. Certaines voyageront dans les airs, servies sur des plateaux-repas de compagnies aériennes. Mais, précise-t-on sur le ton de la plaisanterie à Middenmeer, " seulement en classe éco ".
Mathilde Gérard