Les quatre défis de la zone euro

Guerre commerciale, Brexit, craintes d'une récession mondiale, tensions géopolitiques au Moyen-Orient… Face à l'accumulation des risques, la rentrée de la zone euro se profile sous des auspices guère rassurants. D'autant qu'à ces incertitudes s'ajoutent quatre défis intérieurs de moyen et long terme, susceptibles de menacer l'intégrité de l'union monétaire.

Le premier est la fragilité de l'Italie. Après la crise ouverte par le dirigeant de la Ligue (extrême droite) Matteo Salvini, le Mouvement 5 Etoiles (antisystème) et le Parti démocrate (centre gauche) se sont entendus, mercredi 28 août, pour former un gouvernement dirigé par Giuseppe Conte. Mais la situation reste précaire.

Quelle que soit la prochaine équipe au pouvoir, elle devra s'attaquer aux problèmes de fond minant l'économie italienne : faiblesse de la productivité et de l'innovation, division Nord-Sud, déclin démographique… Autant de maux appelant un traitement complexe et de longue durée.

S'il n'est pas administré dès que possible, le désespoir des Italiens et la tentation de sortir de l'euro prendront de l'ampleur dans la Péninsule. Or, l'union monétaire n'est pas armée pour faire face au scénario d'un " Italexit ", qui la plongerait dans le chaos.

Le deuxième défi est celui de l'Allemagne. L'industrie germanique est en récession. Cela tient aux difficultés de son secteur automobile comme au ralentissement de la Chine, son plus gros client. Mais pas seulement. Le modèle économique même de notre voisin se fissure, menacé par la montée en puissance de l'Asie, plus innovante, et par le déclin de la consommation de biens industriels dans le monde. Les recettes qui ont fait son succès ces dernières décennies vacillent. Le pays d'Angela Merkel devra en inventer de nouvelles, tout en faisant preuve de souplesse à l'égard de l'étau budgétaire qu'il s'impose, trop limitant à l'égard des transformations qu'il va devoir orchestrer.

D'autant que, pour faire face au troisième défi, celui du ralentissement économique généralisé, les Etats membres devront faire preuve de cohérence et de coordination. Certes, la Banque centrale européenne lancera de nouvelles mesures de soutien à l'activité en septembre. Mais elles ne feront pas de miracle. Surtout, elles ne feront de l'effet que si, dans le même temps, les Etats disposant de marges de manœuvre budgétaires – l'Allemagne, mais pas seulement – utilisent celles-ci intelligemment pour investir dans des projets susceptibles de doper la croissance future et de soutenir la transition écologique.

Divorce

Sans cela, la zone euro s'enlisera dans une croissance durablement stagnante, alimentant le mécontentement des Européens et la colère de ceux convaincus, à tort ou à raison, que les hauts revenus s'en sortent toujours mieux que les autres. Sans croissance, les populistes auront un boulevard pour gagner le pouvoir. Pour autant, il serait naïf de croire que la croissance seule suffirait à se prémunir de leur montée en puissance.

L'union monétaire – c'est son -quatrième défi – comme l'Union européenne ont échoué, ces dernières années, à comprendre et à traiter le divorce avec une partie de leurs -citoyens. Celui-ci tient en partie au modèle d'ouverture au libre-échange et à la concurrence entre les personnes et les territoires privilégié par Bruxelles. Parce qu'il n'a pas été accompagné de contre-feux suffisamment solides, ce modèle s'est traduit par une course au moins-disant fiscal. Les taux d'impôt sur les sociétés n'ont pas cessé de baisser depuis trente ans. Le gruyère de leur assiette permet à trop de multinationales d'y échapper. Si les capitales ont refusé de transférer une partie de leur -souveraineté fiscale à l'échelon -européen, elles l'ont en revanche cédé au secteur privé.

Certaines, comme Paris, essaient de reprendre la main, en suggérant d'instaurer un impôt minimum mondial commun sur les bénéfices. Une première étape. La seconde sera de réfléchir au modèle concurrentiel choisi par l'UE : comment protéger efficacement les perdants ? Et, surtout, comment s'assurer qu'il reste pertinent et fournisseur de croissance dans un monde où les chaînes de production tendent à se re-régionaliser, et où le protectionnisme pousse les continents au repli sur soi ?

par Marie Charrel

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