L'exil français des musiciens dissidents thaïlandais

Les membres du groupe Faiyen dénoncent les violences contre les personnes critiquant la monarchie et le régime

Ils sont thaïlandais, dissidents et chantent des chansons antimonarchistes qui peuvent les envoyer en prison, ou pire. Arrivés en France le 3  août du Laos, les quatre membres du groupe de musique Faiyen (" feu froid ") sont les derniers opposants à la junte militaire à trouver refuge en Europe. Ils rejoignent en France un historien connu pour ses recherches sur la famille royale, ou encore la dissidente transgenre Aum Neko.

En cette journée d'août, le petit groupe s'est retrouvé place de la République, à Paris, pour un hommage à huit de leurs camarades, tous des dissidents thaïlandais assassinés ou portés disparus après avoir fui dans des pays voisins d'Asie du Sud-Est depuis le coup d'Etat de 2014. Suivi d'un récital de chansons sarcastiques et pleines de sous-entendus politiques sur le roi Rama X, qui a succédé à son père à sa mort en  2016, mais aussi sur les généraux thaïlandais qui ont pris le pouvoir avec la bénédiction du palais et l'ont gardé au terme d'élections plus que contestables en mars.

Khunthong, le compositeur quinquagénaire, remonte son tee-shirt sous ses aisselles, tandis que Yammy, trentenaire en short en jean, a revêtu un haut vert fluo : tous deux se déhanchent en entonnant une chanson grivoise, clin d'œil à une vidéo volée du monarque et de sa maîtresse à Munich, en débardeur (" crop top ") bien au-dessus du nombril, faux tatouages sur le corps, mangeant des glaces en déambulant dans un centre commercial. Le roi Vajiralongkorn passe le plus clair de son temps dans ses résidences en Bavière et en Suisse, ne se rendant en Thaïlande que pour les cérémonies officielles.

Corps défigurés

Une autre chanson, Si vous ne l'aimez pas, c'est la prison, parle de l'omniprésence de la photo des monarques de la dynastie Chakri, qui règne sur la Thaïlande depuis le XVIIIe  siècle, dans tous les foyers thaïlandais. " Avec de telles chansons, bien sûr qu'on va en prison en Thaïlande, ou même pire. Vous pouvez être assassiné ! ", explique la dissidente Aum Neko.

Deux militants ont été assassinés en  2016, trois autres ont disparu fin 2018, dont un vétéran de la guérilla communiste thaïlan-daise : les corps de deux d'entre eux ont été retrouvés dans le Mékong, remplis de ciment et défigurés. En mai, trois autres Thaïlandais n'ont plus donné de nouvelles après être passés au Vietnam et avoir, soupçonnent leurs proches, été remis aux autorités thaïlandaises. Parmi eux figure l'animateur d'une chaîne YouTube qui se moquait de la famille royale, Sanam Luang. " Il était leur bête noire ", dit Jaran Ditapichai, également réfugié en France. Dans la dissidence, on craint qu'ils aient été tués.

Cette vendetta, attribuée à des forces spéciales thaïlandaises, s'était dangereusement rapprochée des membres de Faiyen, tous installés au Laos depuis le coup d'Etat de 2014 : au cours des cinq dernières années, les musiciens disent avoir changé onze fois de planque dans les environs de Vientiane, la capitale laotienne. " A huit reprises, ce sont les Laotiens qui nous ont prévenus que des policiers thaïlandais étaient à nos trousses ", explique Khunthong. Il a lancé le groupe en  2011, après un événement qu'ils désignent comme fondateur, le massacre en  2010 à Bangkok d'une centaine de manifestants des " chemises rouges ", partisans du populiste Thaksin Shinawatra, renversé par une junte en  2006.

En  2016, Faiyen, qui diffuse alors sa musique sur YouTube, sort une chanson qui évoque la rage des militaires thaïlandais au pouvoir quand des bols rouges, frappés des bons vœux de l'ex-premier ministre en exil, apparaissent dans les campagnes du nord-est de la Thaïlande lors des offrandes du Nouvel An thaïlandais d'avril. " Juste après cela, nous avons dû nous cacher. La police laotienne a même intercepté un commando de onze hommes armés – qui ont été libérés contre une grosse somme d'argent et sont repartis en Thaïlande ", poursuit Khunthong.

L'alerte suivante sonne en décembre  2018, lors de la visite au Laos du général Prayuth Chan-o-cha, le chef de la junte. " Les Laotiens nous ont fait déménager fissa, en nous donnant même un peu d'argent ", raconte-t-il. C'est juste avant cette visite que les trois autres dissidents au Laos, dont ils étaient proches, auraient selon eux été livrés à la Thaïlande en échange d'une forte récompense. Puis liquidés.

Campagne de trolls

Pour Faiyen, tout s'accélère alors. " On a lancé en mai sur Internet une campagne #SaveFaiyen afin d'alerter l'opinion internationale sur les dangers qui pesaient sur eux ", explique Junya Yimprasert, une militante thaïlandaise prodémocratie installée en Finlande et elle aussi venue accueillir le groupe à Paris. Les autorités françaises délivrent alors un laissez-passer à quatre membres du groupe.

Depuis que ces derniers sont arrivés en France, toutes sortes de trolls au service des royalistes et de l'armée se déchaînent sur les réseaux sociaux pour essayer de ternir leur image.

Désormais engagés dans une procédure de demande d'asile politique, les membres de Faiyen comptent bien relancer leur chaîne YouTube, même si elle n'est accessible en Thaïlande qu'avec des logiciels de contournement de la censure.

Brice Pedroletti

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