Le procès, qui débutera dans deux mois dans l'Ohio, compte quelque 2 000 plaignants
Des milliards de dollars de compensation, la promesse de financer des remèdes à l'addiction aux opiacés qui ravage les Etats-Unis, des engagements sur plusieurs années : deux mois avant l'ouverture à Cleveland (Ohio) d'un procès historique opposant quelque 2 000 plaignants (villes, comtés, Etats, tribus indiennes) à plusieurs laboratoires et distributeurs pharmaceutiques américains mis en cause dans la propagation d'antidouleurs addictifs, certaines entreprises s'efforcent de parvenir à des règlements à l'amiable. Au banc des accusés de ce premier procès organisé au niveau fédéral, sont notamment cités les laboratoires Purdue, Teva et Johnson & Johnson, et les distributeurs McKesson, Cardinal Health et AmerisourceBergen.
Le groupe Purdue, propriété de la famille Sackler et fabricant de l'OxyContin, l'un des principaux médicaments ayant provoqué les dépendances fatales, négocierait le paiement de 10 à 12 milliards de dollars (9 à 11 milliards d'euros) pour éviter des semaines de procès, doublées de publicité négative, et des poursuites contre ses dirigeants. Les détails de cette négociation révélés par la presse donnent la mesure de l'inquiétude qui parcourt les entreprises du secteur. Dans un communiqué, le groupe a expliqué n'avoir " guère intérêt à passer des années en vaines batailles juridiques ".
Soumis à des critiques de plus en plus vives, incluant notamment la remise en cause de leur mécénat culturel auprès de grandes institutions à travers le monde, les membres de la famille Sackler renonceraient à la gestion de leur entreprise, créée par trois frères dans les années 1950. Purdue aurait proposé de se déclarer en faillite afin de permettre la mise en uvre d'un accord selon lequel la société se transformerait en un trust public, dont 7 à 8 milliards de dollars de revenus tirés de la vente de médicaments seraient destinés aux plaignants. Un montage innovant, selon des experts cités dans la presse américaine.
La famille, l'une des plus grosses fortunes des Etats-Unis à la tête de 13 milliards de dollars, verserait 3 milliards de ses propres deniers. Elle s'engagerait aussi à délivrer gratuitement les antidotes aux overdoses liées à l'abus d'opiacés et les traitements contre l'addiction. L'argent serait notamment consacré au financement des centres de réhabilitation pour personnes dépendantes, peu nombreux dans certains Etats et souvent trop onéreux pour des personnes en difficultés sociales et économiques. Deux autres entreprises, Endo et Allergan ont aussi annoncé le 20 août avoir conclu des accords avec certains comtés impliqués dans le procès du 21 octobre, acceptant de leur verser 10 et 5 millions de dollars.
400 000 mortsLa société Purdue, elle, n'en est pas à ses premiers démêlés avec la justice américaine : en mars, pour éviter un procès, elle avait conclu un accord à l'amiable avec l'Etat de l'Oklahoma, assorti d'un versement de 270 millions de dollars. Teva, une autre entreprise pharmaceutique, avait fait de même pour un montant de 85 millions. Mais dès 2007 et les premiers signes d'une épidémie d'overdoses et de mauvaises utilisations de ses produits, Purdue avait été condamnée à 630 millions d'amendes pour publicité mensongère ; elle assurait que ses médicaments ne comportaient pas de risques d'addiction ; trois de ses dirigeants avaient été condamnés à… 400 heures de service civique. Cet épisode ne l'avait pas empêchée de poursuivre ses pratiques commerciales agressives. Depuis son lancement en 1996, l'OxyContin a rapporté 31 milliards de dollars à l'entreprise. L'accord entre Purdue et les plaignants du procès de Cleveland, encore en discussion, devait être finalisé vendredi 30 août.
Ces tractations ont été dévoilées au lendemain de la première condamnation par la justice américaine d'une entreprise impliquée dans ce dossier tentaculaire. Johnson & Johnson devra verser 570 mil-lions de dollars à l'Etat de l'Oklahoma pour avoir adopté des pratiques " trompeuses de marketing et de promotion des opiacés ". L'Etat estimait à 17 milliards sur les trente prochaines années les frais nécessaires à l'éradication de la crise de santé publique due aux addictions et aux overdoses. La société a annoncé qu'elle ferait appel. Selon Caleb Alexander, un spécialiste de l'université Johns-Hopkins cité dans le dossier de l'Ohio, les mesures à prendre au niveau national pour maîtriser cette crise pour-raient atteindre 453 milliards de dollars sur les dix prochaines an-nées. La surconsommation d'opioïdes a fait 400 000 morts entre 1999 et 2017.
Stéphanie Le Bars