Un collabo, du front de l'Est à la traque des résistants

" A toujours milité activement contre la maçonnerie, la juiverie internationale et tous les gouvernements français qui en ont été les émanations. " 1er  décembre 1941. Joseph Laporte est aux portes de Moscou, sous l'uniforme de la Wehrmacht. Et il remplit un questionnaire, comme si tout devait toujours s'accompagner de papiers administratifs, même la descente d'un homme dans les derniers cercles de l'infamie.

Lui qui a rejoint le front de l'Est début septembre avec un contingent de la Légion des volontaires français contre le bolchevisme –  créée en juillet pour soutenir l'opération " Barbarossa " – doit rendre à son commandement, trois mois après, une fiche d'inscription, à la fin de laquelle il ajoute ce bref curriculum, qui dit bien ce qu'a été sa vie et ce qu'elle s'apprête à être, jusqu'à son exé-cution à l'aube du 4  octobre  1944, dans la cour d'une caserne d'Albi (Tarn).

Questionnement perplexe

Philippe Secondy a trouvé ce -document, parmi des centaines d'autres, aux Archives départementales de l'Hérault, source bientôt jaillissante d'informations sur ce (quasi) parfait inconnu, dont procède Fabrication d'un -collabo. Né en  1892 à Montpellier, très tôt orphelin, Laporte deviendra cultivateur avant de se découvrir, pendant la Grande Guerre, un indéniable talent pour le combat, qui le mènera dans les rangs de l'armée coloniale dont, en  1933, il sortira capitaine – et, comme on l'a vu, féroce antimaçon, anti-sémite et antirépublicain.

Pour l'historien, cette découverte est une aubaine, celle, écrit-il, " d'entrevoir le cheminement -sinueux d'un second couteau qui opte pour l'adhésion à l'Allemagne nazie dès les années 1930 " ; de le reconstituer avec minutie, sans -lâcher le fil d'Ariane que ce labyrinthe lui paraît imposer : un -questionnement perplexe sur ce qui fait qu'un homme devienne -Joseph Laporte.

De sorte que le livre tient à la fois de l'étude micro-historique d'un exemple plus ou moins représentatif de collaborateur, et de la -réflexion sur ce qui vous entraîne parmi les troupes allemandes de " Barbarossa " – et, ensuite, car -notre homme en reviendra vite, dans l'organisation des forces collaborationnistes du Tarn et de l'Aveyron, puis dans la traque, la torture et l'assassinat du maximum de résistants locaux.

Malaise fécond

La première dimension du livre, il faut bien le dire, est plus réussie que la seconde. La richesse des documents retrouvés, et la précision de l'analyse qu'en mène Secondy, malgré quelques approximations, permettent de créer une forme d'intimité avec Laporte, et par là un malaise fécond devant ce qu'il demeure, comme toujours, d'humanité dans cette canaille.

Mais expliquer ? Comprendre ? Repérer les bifurcations ? Les tentatives en ce sens finissent par se perdre dans le flou, ou l'arbitraire, que Philippe Secondy redoute assez pour ne pas insister, quitte à y revenir, parce que telle était la promesse initiale, à buter de nouveau sur l'énigme Laporte, et à se perdre dans ce vide en titubant un peu. Signe que l'expérience, au bout du compte, a été menée aussi loin qu'il était possible.

Florent Georgesco

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