Urgences : une grève inédite par son ampleur

Lundi 2 septembre, le mouvement devrait affecter 240 services, soit la moitié des urgences publiques

Si la ministre de la santé, Agnès Buzyn, avait misé sur un étiolement du mouvement de grève dans les services d'accueil des urgences (SAU) au cours de l'été, le pari est perdu. Ni la nouvelle " prime forfaitaire de risque " mensuelle de 100  euros net accordée en juin ni les aides exceptionnelles pour les établissements les plus en difficulté n'auront suffi à mettre un terme à l'un des plus importants conflits sociaux à l'hôpital public depuis des années.

Des sorties de crise ont certes été enregistrées dans quelques établissements ces dernières semaines, 28 selon le ministère, dont sept de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), où la protestation a démarré en mars. Mais ces situations ne reflètent pas la tendance générale. Le collectif Inter-Urgences estime ainsi que le seuil de 240  services en grève pourrait être atteint lundi 2  septembre, puis celui de 250 à la fin de semaine, ce qui représenterait plus de la moitié des 474  urgences publiques. " La traversée de l'été, c'était la traversée du désert, on risquait d'y laisser des plumes, mais on se retrouve fin août deux fois plus nombreux qu'en juin ", se félicite Hugo Huon, infirmier aux urgences parisiennes de Lariboisière et président du collectif.

Au ministère de la santé, on affiche depuis mi-août le chiffre de 195  SAU en grève et on promet un nouveau chiffrage dans les prochains jours. " C'est un mouvement relativement stable, sans aggravation ni décélération majeure ", estime-t-on avenue de Ségur, en relevant qu'il n'y a pas eu pendant l'été de " situation inextricable où un service se serait trouvé vraiment bloqué ".

" Mise en danger du patient "

Parmi les principales motivations des infirmiers et aides-soignants qui ont rejoint la protestation au cours de l'été, le manque d'effectifs et le manque de lits d'hospitalisation en nombre suffisant pour faire face à une hausse régulière du nombre de passages. Après un premier mouvement en janvier-février, interrompu pour cause d'" épuisement général ", l'équipe de nuit des urgences de Saint-Malo (Ille-et-Vilaine) s'est ainsi remise en grève en juillet. " On ne nous laisse pas le choix ", estime Katell Dubois, 46  ans, infirmière de nuit depuis vingt  ans. " Cet été a été catastrophique, on a eu jusqu'à trente patients sur des brancards dans le couloir à 5  heures du matin, je n'avais jamais vu ça ", dit-elle, déplorant " un nombre de personnels qui ne correspond plus à l'activité… "

A Libourne (Gironde), une infirmière avec plusieurs années d'ancienneté assure, sous le couvert de l'anonymat, que " cet été a été le pire depuis plusieurs années, à cause de la fermeture d'un nombre important de lits dans l'hôpital ". Elle rapporte en outre que les arrêts maladie pour épuisement " se sont multipliés " ces dernières semaines, et " n'ont pas été remplacés, par manque d'effectif ". " Nous étions donc en sous-effectif permanent avec mise en danger du patient par défaut de surveillance ", estime-t-elle.

" Epuisés par des assignations sur les jours de repos " au mois de juin, les soignants, qui ont obtenu quelques postes supplémentaires, ont décidé d'alléger leur grève. " On n'attend plus grand-chose du local, l'enjeu est désormais national ", explique l'infirmière. Aux urgences de la Timone, à Marseille, en grève depuis le début du mois d'août, " l'été s'est passé dans la difficulté avec deux infirmiers et trois aides-soignants en moins que les effectifs normaux ", témoigne un infirmier, lui aussi sous le couvert de l'anonymat. Lors de l'assemblée générale du service qui se tiendra le 5  septembre, " il y aura un débat sur le durcissement du mouvement pour obtenir des résultats plus rapides ", explique-t-il.

" Régler l'amont "

Quelle tournure la contestation peut-elle désormais prendre ? Dans les prochaines semaines, les grévistes et le gouvernement vont chacun tenter d'imposer leur calendrier. Une assemblée générale du collectif Inter-Urgences est prévue le 10  septembre. Les participants devront valider une plate-forme de revendications qui permettra aux syndicats de médecins hospitaliers de s'associer au mouvement, tout comme les soignants d'autres secteurs, comme la psychiatrie.

A la CGT, Christophe Prudhomme assure que " tout va être fait pour que le mouvement s'étende au-delà des urgences ". " Les gens ont repris confiance avec cette grève ", explique-t-il, en demandant que de nouveaux moyens financiers soient dégagés pour l'hôpital public et les Ehpad lors du vote du budget de la Sécurité sociale qui sera débattu cet automne au Parlement.

Au ministère de la santé, on dit réfléchir à des réformes d'ampleur des services d'urgences. " Je pense que nous allons vers un chamboulement des organisations ", a assuré, lundi 26 août, Agnès Buzyn sur France Inter, laissant notamment entrevoir la possibilité de la mise en place d'un numéro d'appel de régulation qui permettrait d'alléger la fréquentation des urgences.

" Il faudra régler l'amont avant d'étendre indéfiniment les services d'urgences ", a plaidé la ministre, en mettant également en avant la nécessité de trouver des solutions locales.Elle pourrait faire de premières annonces dans la deuxième moitié de septembre, après la remise des premières recommandations du professeur Pierre Carli, chef du SAMU de Paris, et du député La République en marche Thomas Mesnier, qui doivent rendre d'ici à fin novembre un rapport sur le sujet.

François Béguin

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