L'homme qui n'effrayait pas les animaux

" Starlight ", beau roman posthume du Canadien Richard Wagamese, invite à l'empathie avec la forêt et tout ce qui y vit, humains inclus

L'écrivain canadien Richard Wagamese est mort à l'âge de 61  ans, en mars  2017, laissant un manuscrit inachevé, aujour-d'hui publié. Starlight est la suite des Etoiles s'éteignent à l'aube (Zoé, 2016) où apparaissait le jeune Franklin Starlight, un -Indien de Colombie-Britannique. Depuis, il a mûri. A la mort de son père d'adoption, il a pensé quitter la région. Y a renoncé. Il a repris la ferme. C'est là qu'il aime vivre, à la lisière de la forêt, en compagnie de son meilleur ami, Eugène. Deux vieux garçons tranquilles, dont la routine va être dérangée par une cohabitation inopinée.

Car, en échange de quelques heures de ménage et d'un peu de cuisine, Starlight a accepté d'héberger deux vagabondes en cavale, réduites à l'extrême précarité et aux menus larcins dans les supermarchés. C'est une offre de domiciliation et un emploi comme alternative à un séjour en prison. Il en a fait la proposition, laquelle a été acceptée. La police locale et l'assistante sociale surveilleront de loin en loin cette période probatoire. Emmy est une jeune mère cabossée ; Winnie, sa fillette intelligente, se bagarre à l'école.

Il y a de la sauvagerie et de l'humanité chez ces protagonistes qui cherchent à s'apprivoiser mutuellement. Photographe animalier à ses heures perdues, -Starlight, qui n'effraye ni les cerfs ni les loups, va soigner ces deux bouts de -femmes vaillantes par de longues balades en forêt. " Il m'a toujours semblé que le meilleur endroit pour apprendre la -confiance, c'était là-bas dans la nature. On apprend à lui faire confiance et on apprend à se faire confiance quand on est confronté à elle. Il est facile de s'y déplacer quand on sait où on met les pieds. Le respect vient de ça. Tout comme le courage. L'humilité ", soutient-il. Appelons ça une sylvothérapie initiatique.

Courses nez au vent

En de magnifiques pages offrant le parfait témoignage de la qualité d'expressivité atteinte par l'écrivain ojibwé avant sa disparition, Richard Wagamese évoque les aventures nocturnes de ses personnages. Il décrit des courses nez au vent, quelques jours de bivouac, l'autarcie de hasard et de -nécessité (eau de rivière, poissons, baies, écureuils). En pareilles occasions, le cerveau est lavé des tourments, voué au strict présent. Ces pages dilatent le temps. Elles modifient même la respiration du lecteur aux aguets.

Le sentiment de plénitude qu'on est susceptible d'éprouver au sein de la nature possède deux sources. Il peut naître d'une contemplation aiguisant les sens, de l'émerveillement devant la grâce -animale, de l'écoute couplée à la vue. Autre forme de plénitude : la fusion, puisqu'il s'agit cette fois de parvenir à se " fondre dans le paysage " ; ne plus être considéré comme un intrus par les autres espèces animales, qu'elles soient tapies ou mobiles dans les bois. Cela implique de respirer par d'autres pores, de " rôder comme un couguar ", ainsi que l'enseigne Starlight. C'est un don paradoxal : l'instinct s'acquiert.

A la beauté propre au récit de Wagamese s'ajoute le charme de l'inachèvement. L'imagination doit façonner les scènes de fin manquantes. Par exemple, la confrontation violente de deux -hommes traquant Emmy avec le doux géant, chef d'une famille élective. Toutefois, l'épilogue, rédigé de manière anticipée par Richard Wagamese, figure en fin de volume.

Starlight n'est pas un livre testamentaire, au sens crépusculaire. C'est un -roman solaire, dont on sort ragaillardi avec des envies de grandes foulées sous la canopée.

Macha Séry

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