La colère des 80 % de locataires de la capitale allemande a été entendue par le gouvernement régional, qui a décrété un gel des loyers en juin
Al'issue d'un feuilleton judiciaire à rebondissements, le combat de Berlin contre la cherté du logement a finalement reçu l'aval de la plus haute instance juridique du pays. Mardi 20 août, la Cour constitutionnelle fédérale allemande a rejeté la plainte de la propriétaire d'un studio à Berlin, qui contestait une loi d'encadrement des loyers entrée en vigueur dans la capitale en juin 2015, peu après son adoption par le Bundestag (l'assemblée parlementaire).
La loueuse avait saisi la justice après avoir été condamnée à rembourser un trop-perçu à sa locataire, qui avait fait valoir " le frein à la hausse des loyers ". Selon la Cour constitutionnelle, ce mécanisme, qui régule le prix des locations à Berlin et dans 300 autres villes d'Allemagne où le marché du logement est" tendu ", ne constitue pas une entorse démesurée au principe de la propriété privée garanti par la Constitution.
" Il est conforme à l'intérêt général d'empêcher l'éviction des catégories de population les moins performantes économiquement hors des quartiers où la demande est forte ", ont estimé les juges de Karlsruhe (sud-ouest), contredisant le tribunal de grande instance de Berlin, qui avait donné raison à la propriétaire en 2017.
Pour les locataires berlinois, cette décision est du pain bénit. En quatre ans, l'encadrement des loyers, dispositif honni des propriétaires peu scrupuleux, n'a pas eu les résultats escomptés. Nourri par une forte demande, le coût du logement a poursuivi sa hausse vertigineuse dans la capitale : d'après les calculs du site immobilier Immowelt, publiés en juillet, le loyer médian au mètre carré a crû de 104 % depuis 2009.
Une bombe socialeCette flambée des prix est une bombe sociale, dans une ville où 80 % des résidents sont locataires de leur logement. Consciente du problème, la mairie de Berlin, dirigée par une coalition de partis de gauche, a frappé un grand coup, en juin en décrétant un gel pur et simple des loyers pour une durée de cinq ans. La mesure devrait concerner la quasi-totalité du parc locatif privé, soit environ 1,5 million d'appartements. Selon des informations qui ont fuité, samedi 24 août, la mairie envisage même d'inclure dans le dispositif un plafonnement des loyers à 7,97 euros par mètre carré, hors charges, dans tout immeuble d'habitation construit avant 2014.
Le gouvernement de la ville-Etat présentera un projet de loi au plus tard à la mi-octobre, pour une entrée en vigueur officielle en janvier 2020 – et une application rétroactive au 18 juin. Dans les faits, depuis deux mois, les propriétaires ne peuvent plus augmenter les loyers, pour la plus grande satisfaction des Berlinois. A en croire un sondage publié fin juillet, 60 % d'entre eux approuvent le gel des loyers.
En juillet, la mairie a racheté à un investisseur 670 appartements sur la Karl-Marx-Allee, la grande avenue historique et un brin décrépie de l'ancien Berlin-Est communiste. Ce rachat, au nez et à la barbe du géant immobilier Deutsche Wohnen, intervient après des mois de mobilisation des locataires. En août, sentant le vent tourner, Deutsche Wohnen a mis en vente 3 000 appartements sur les 112 000 qu'il détient dans la capitale.
Ces revers subis coup sur coup par le groupe coté en Bourse ne sont pas sans rappeler le cuisant échec essuyé par Google, en octobre 2018, à Berlin. Après deux ans d'une campagne baptisée " Fuck Off Google ! ", le géant américain renonçait à installer un campus de 3 000 mètres carrés dans le quartier bohème de Kreuzberg, l'un des centres névralgiques de l'embourgeoisement de Berlin.
La contestation pourrait se radicaliser. En juin, une pétition réclamant la tenue d'un référendum sur l'expropriation des grands investisseurs immobiliers a été remise au gouvernement régional. Les organisateurs du mouvement ont deux mois pour rassembler au moins 170 000 signatures. S'ils y parviennent, la mairie devra organiser un référendum local, à l'issue incertaine. Les représentants des propriétaires, eux, saisissent les tribunaux pour faire capoter le gel des loyers. A Berlin, la bataille contre le logement cher est encore loin d'être gagnée.
Jean-Michel Hauteville