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Le conseil de discipline doit statuer sur le cas d'élèves ayant envoyé à un professeur une lettre arborant six croix gammées et le message : " Vieux Juif, tu seras puni par le troisième Reich. " Nous sommes en 1975, et Gilles Rozier, 12 ans, familier des recherches dans l'annuaire par goût des blagues téléphoniques, fait partie des accusés pour avoir communiqué aux auteurs de la missive l'adresse de leur enseignant. Connaissait-il son contenu ? Ses parents lui demandent de quitter la pièce pour révéler l'information censée le disculper : " Comment voulez-vous que mon fils soit antisémite alors que mon père est mort à Auschwitz ? ", demande sa mère, qui ne parle jamais de l'histoire familiale. Les deux scripteurs sont renvoyés ; Gilles, dispensé de revenir avant les grandes -vacances, quinze jours plus tard. De " lévénement ", on ne -parlera plus. Jusqu'à ce qu'un courriel le ramène à la mémoire de l'auteur, devenu traducteur du yiddish et de l'hébreu, écrivain et éditeur. Dans Mikado d'enfance, son huitième roman, il se -penche sur l'enchevêtrement de silences qui ont précédé -" lévénement ", et ceux qui l'ont suivi. Il dit aussi le mélange de questions (liées au genre, à la religion, à la classe sociale) auquel, enfant et adolescent, il a dû faire face. Avec intelligence, il ne cherche pas à débrouiller complètement ce " mikado " – lequel apparaît surtout comme une pièce essentielle du puzzle qu'est la quête identitaire menée, de livre en livre, par Gilles Rozier. Raphaëlle Leyris
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