Trois musées de Marseille passés à la moulinette de Wurm

Parmi les œuvres exposées, les " One-Minute-Sculptures ", qui transforment le visiteur en statue éphémère

Elle est si étroite, cette maison, qu'il faut marcher à l'égyptienne pour passer de la cuisine à la chambre ; pour traverser le couloir, rentrer le ventre. Le lit pourrait tout juste accueillir deux bras, les toilettes sont moins larges qu'un rouleau de papier toilette, les assiettes sont fuselées comme des couteaux, les tongs supporteraient un pouce, pas plus.

Une simple maison de poupées ? Non, tout n'est pas miniaturisé dans cette Narrow House : chaque élément est, plutôt -violemment anamorphosé, -effilé à l'extrême dans le sens de la largeur. On les verrait de face, ces consoles toutes bêtes, ces lampes, ce téléphone vert, ce lavabo, ils pourraient faire illusion. Mais de profil, rien ne va plus. Comme s'il avait fallu faire rentrer tous les poncifs du confort moderne dans ce pavillon d'un mètre de large.

C'est le logis viennois de ses parents qui a inspiré à Erwin Wurm ce cauchemar domestique, invivable. Une installation qui vaut psychanalyse ? Le facétieux plasticien autrichien ne s'empêtre pas dans ce genre de détails. Mais il n'en est pas à son coup d'essai : question " inquiétante étrangeté ", l'enfant déjanté de la contrée freudienne en connaît un rayon.

Camouflé façon momie

Marseille en offre une nouvelle fois la preuve, en lui confiant trois de ses musées, comme la ville l'avait déjà fait cet hiver avec l'artiste Sophie Calle. A la moulinette Wurm sont ainsi passés La Vieille Charité, dont sa villa au régime haricot vert nargue de son toit ultra-effilé la chapelle des lieux, le Musée Cantini, où trône notamment une Austin Mini passée au mode obèse et gonflée comme une baudruche, ainsi que celui des Beaux-Arts.

Trésor longtemps caché dans les ors IIIe  République du Palais Longchamp, les collections du Musée des beaux-arts nécessitaient, après un bon dépoussiérage, un nouvel éclairage. La carte blanche offerte à Wurm participe de cette stratégie. Jamais vous n'aviez pensé vous retrouver allongé dans l'escalier d'une si auguste institution ou jouant à cache-cache derrière une planche ? Avec ses One-Minute-Sculptures, l'artiste vous offre une occasion en or. Le principe est simple : il suffit de suivre ses instructions, un peu loufoques, au pied de la lettre, et vous voilà transformé en sculpture éphémère, tableau vivant sur socle.

Une minute de gloire, à la Warhol ? Sauf que les positions dans lesquelles se retrouvent les volontaires sont rarement flatteuses. Vous voilà empêtré, silhouette monstrueuse, dans un pull XXL au bleu lavasse, les jambes à la place des bras. Ou camouflé façon momie dans un gilet rayé. Ou encore, réduit à la plus ridicule immobilité, avec une brique de lait en équilibre sur chacun des pieds. Alors, oui, il faut vraiment avoir perdu tout honneur pour se prêter à l'expérience. Solution ? Amener ses enfants. Même les plus turbulents seront ravis de " faire statue ", et vous, vous aurez une minute de paix pour admirer les merveilles du musée, Madeleine en extase, de Louis Finson, ou LeRavissement de Sainte-Madeleine, de Philippe de Champaigne.

En revanche, au Musée Cantini, riche de quelques merveilles surréalistes, les adultes ne pourront plus se dérober au jeu : après deux salles de vidéos, qui font la démonstration loufoque des One-Minute-Sculptures appliquées à l'artiste même, toute une salle est constituée de minibars en Formica. Dans chacun d'eux, Erwin Wurm a aménagé de petits espaces pour ses cobayes de plus de 18  ans. Rédigées à la main, ses instructions ne laissent guère de marge d'interprétation : " Ouvrez le cabinet, prenez une bouteille d'alcool, versez-vous un verre et saoulez-vous. " Et, en petit, comme un astérisque : " Faites-le sérieusement. " L'histoire ne dit pas combien de visiteurs se sont prêtés au jeu. Mais elle dit beaucoup sur la mélancolie de ce clown triste.

Emmanuelle Lequeux

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