L'économiste et l'avocate rappellent que les syndicats avaient accepté pour le régime complémentaire la réforme qu'ils refusent pour le régime général
Les préconisations du haut commissaire à la réforme des retraites Jean-Paul Delevoye concernant le système de retraite de base semblent prudentes. Il n'y est, par exemple, pas -souligné que le remplacement des quarante-deux régimes actuels par un système universel à points fera inévitablement des perdants. C'est pourtant le prix à payer pour renforcer la confiance collective dans l'équité de notre système social, si les efforts demandés apparaissent justes. Car la multiplicité des régimes et la complexité technique du sujet alimentent la suspicion : ne suis-je pas lésé par rapport à d'autres ?
La recherche d'une soutenabilité financière impose des changements du fait de l'allongement de l'espérance de vie à la naissance, passée de 75,3 ans en 2000 à 78 ans en 2010 et à 79,4 ans en 2018 pour les hommes, ces chiffres étant de 83 ans, 84,6 ans et 85,3 ans pour les femmes. Un même allongement s'observe pour l'espérance de vie à partir de 60 ans, plus pertinente pour les questions de retraites, passée de 20,5 à 22,4, puis à 23,2 ans pour les hommes, et de 25,6 à 27,1 puis à 27,6 pour les femmes.
Pour faire simple, trois grandes modalités sont envisageables pour assurer cette soutenabilité financière. La première est la hausse des contributions. Mais la France est déjà, parmi les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques, celui où le taux de prélèvements obligatoires est le plus élevé. La deuxième modalité est la baisse des prestations. Mais les retraités ont déjà vu leur pouvoir d'achat baisser depuis 2014, en particulier en 2018 du fait du transfert sur la CSG des contributions chômage des -salariés.
La troisième modalité est le recul de l'âge du départ à la retraite, conduisant à augmenter le nombre d'années contributives et à diminuer le nombre d'années de prestations. Mais le président Macron s'est -engagé à ne pas reculer l'âge légal du départ à la retraite, aujourd'hui 62 ans, pourtant bas comparé à de nombreux autres pays européens. Il a été alors préconisé de décaler l'âge du taux plein à 64 ans, lequel pourrait évoluer dans le futur, en rapport avec l'espérance de vie. Cet allongement est une -incitation financière à rester en activité après 62 ans. Déjà, en 2018, les assurés du régime général (hors départ anticipé) étaient en moyenne partis à la retraite à 63,4 ans.
SoutenabilitéLe recul de l'âge du taux plein a suscité de fortes oppositions syndicales, la CFDT -proposant néanmoins un âge du taux plein individualisé en fonction de la carrière. Le président s'est montré sensible à cette opposition et a déclaré renoncer à un âge pivot pour le bénéfice du taux plein.
Pourtant, les partenaires sociaux s'étaient montrés bien plus réformateurs lorsqu'il s'était agi d'assurer la soutenabilité des régimes de retraite complémentaire dans le cadre de la fusion de l'Agirc et de l'Arrco. Cette fusion et la soutenabilité du système ont été organisées par les deux accords nationaux interprofessionnels, -signés le 30 octobre 2015 et le 17 novembre 2017, du côté des syndicats de salariés par la CFDT, la CFE-CGC et la CFTC. Non -signataires, la CGT et FO y adhérent cependant, afin de participer à la gouvernance du système. Rappelons que l'enjeu est important : les retraites complémentaires, qui fonctionnent à points comme le futur -régime de base, brassent annuellement -environ 60 milliards d'euros. Ils représentent la plus grande part (40 %) des ressources de la protection sociale gérées paritairement par les partenaires sociaux, avant l'assurance-chômage (30 milliards), la -for-mation professionnelle (14 milliards), la prévoyance (14 milliards) et le logement (5 milliards).
Or, ces accords ont associé les trois volets de financement évoqués plus haut. D'abord une hausse de la " valeur d'achat " du point (et donc du montant des cotisations) et une baisse conséquente de sa " valeur de service " (la valeur du point permettant de calculer le montant de la prestation retraite qui sera versée à l'assuré). Les partenaires sociaux ont également prévu que, par l'application d'un " cœfficient de solidarité ", un abattement de 10 % serait appliqué pendant trois ans sur la pension d'un actif partant à l'âge -légal de 62 ans et ne reculant pas ce départ d'une année. La logique incitative envisagée à travers un âge pivot pour la réforme du régime de base semblait ainsi avoir trouvé une source d'inspiration dans la -réforme des régimes complémentaires conçue par les partenaires sociaux eux-mêmes !
Gilbert Cette et Gépy Koudadje