A Strasbourg, des vigiles devraient être mobilisés en permanence aux urgences pour protéger les personnels des incivilités
L'année dernière, un patient ivre a attrapé à la gorge Florian Brunet. " Ça a duré deux secondes, mais ça fait un choc ", raconte l'infirmier de 24 ans, devenu représentant du collectif Inter-Urgences dans le Grand-Est pour pouvoir " agir sur les conditions de travail de son service ". Depuis deux ans, ce jeune délégué Force ouvrière (FO) travaille aux urgences de l'hôpital de Hautepierre, qui compte plus de 800 lits, à Strasbourg.
Aux abords de l'immense bâtiment, ni banderole ni affiche ne rappellent le mouvement massif de grève qui touche les services d'accueil des urgences en France depuis le mois de mars. Les syndicats ont en effet signé avec la direction le 10 juillet un protocole d'accord prévoyant notamment " le recrutement de 150 soignants sur l'ensemble de l'établissement " et la " poursuite de l'ouverture de 40 lits de médecine ".
Systèmes d'alarmeUne partie du personnel s'inquiète pour sa sécurité et un nouveau préavis de grève a été déposé par FO, à la suite d'un grave incident provoqué par un jeune aux urgences de Hautepierre, le 23 août. Amené par les pompiers, il mord " deux médecins ", " crache du sang au visage d'une infirmière " et s'en prend à plusieurs soignants, raconte Christian Prudhomme. Secrétaire général de FO aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS), il précise que des plaintes ont été déposées.
Plusieurs mesures ont été annoncées depuis, dont l'extension des horaires des vigiles qui veil-laient jusqu'alors de 20 heures à minuit sur les urgences. Ils devraient désormais être présents en permanence pour " un coût de 600 000 euros sur un an ", précise M. Gautier – les dépenses des HUS ayant représenté environ 1 milliard d'euros en 2018. Les personnels devraient aussi bénéficier de systèmes d'alarme, de formations aux gestes de contention et de mise à disposition de matériel. Des mesures saluées par M. Brunet, qui évoque une " avancée " et précise que le personnel va être consulté sur le maintien du préavis de grève.
Aux yeux de plusieurs soignants rencontrés mercredi 28 août, l'incident a rendu visible le climat d'incivilités qu'ils subissent. Selon eux, il est lié à un problème de fond : la surcharge des urgences. En février, la Cour des comptes avait d'ailleurs souligné la durée médiane d'attente à Strasbourg – comptez quatre heures quinze. " Cet engorgement crée de l'attente et du stress ", regrette Raphaël Bouvier, secrétaire adjoint de la CGT des HUS. Il dénonce en outre la pénurie de personnel soignant, issue notamment de difficultés de recrutement.
Après une nuit de travail, Jérémy (qui ne souhaite pas communiquer son nom de famille) a les yeux cernés. L'infirmier de 28 ans esquisse, sur un bout de papier, un schéma des urgences du Nouvel Hôpital civil. A l'accueil de cet autre site des HUS, situé au cur de la ville, il explique que les patients s'accumulent faute de places. Les délais d'attente, eux, s'allongent. Il évoque, lèvres serrées, la peur qu'il a ressentie le mois dernier : un quadragénaire, fils d'un patient, s'impatiente. " C'est quand que tu vas t'occuper de mon père ! ", lance-t-il, virulent. " Il faisait une tête de plus que moi. " Une de ses collègues, qui souhaite garder l'anonymat, évoque, elle, des " insultes racistes " et un " environnement d'agressions tous les jours ". Ou encore cet homme qui patientait depuis longtemps et qui " voulait absolument rentrer chez lui ". Il a " uriné par terre ", se désole l'infirmière.
" L'engorgement des urgences vient notamment du manque de lits d'hospitalisation pour les patients ", explique Syamak Agha Babaei, médecin urgentiste. Pour le praticien, membre de l'Association des médecins urgentistes de France (AMUF) et élu local, il est urgent que de nouvelles places soient ouvertes. Manon, jeune infirmière, se souvient d'un vieil homme resté vingt-quatre heures aux urgences d'Hautepierre, faute de lit disponible. " Son fils a commencé à nous traiter d'incompétents. " Agressée physiquement à plusieurs reprises, elle a fini par quitter le service des urgences le mois dernier : " Nous ne sommes pas là pour travailler dans ces conditions. "
Léa Sanchez