Le Centro Botin expose quatre-vingts uvres dans une scénographie conçue par l'architecte Renzo Piano
Ses volées d'escalier en verre permettent d'accéder aux espaces d'exposition comme à des passerelles s'élançant au-dessus des flots tels des plongeoirs. Quel écrin plus aérien que le Centro Botin, vaisseau en suspension sur l'horizon de la baie de -Santander (Espagne), signé Renzo Piano, pour accueillir une exposition Calder ? Mais le centre d'art de la ville portuaire du nord-est de l'Espagne ne s'est pas contenté de cet équilibre entre l'enveloppe et son contenu phare de la saison : il a demandé à l'architecte italien de scénographier la monographie de l'artiste dans son propre bâtiment.
" Calder fut incontestablement l'une des personnes qui m'ont le plus inspiré ", souligne le Prix Pritzker 1998, dans un texte du catalogue. Il a personnellement connu Alexander Calder (1898-1976), dont il admirait " la recherche de la beauté de l'instant ", et cette proximité avec son travail l'avait déjà amené à scénographier une rétrospective du peintre et sculpteur, en 1983, à Turin (Italie). Il accompagne celle-ci avec un souci de légèreté et de jeux de gravité dans le vaste espace du deuxième et dernier étage du musée, ouvert sur le ciel de la baie.
Les quelque quatre-vingts -pièces de l'exposition sont -rassemblées par îlots, sur des -socles et des plates-formes comme en lévitation, à plus de 10 centimètres du sol. Point de cimaises, l'espace, atmosphérique, n'est empli que de stabiles et de mobiles, et de jeux de lumière naturelle. -L'architecte introduit le mouvement cher à Calder par le truchement d'écrans textiles où sont projetées les uvres soumises à leurs oscillations particulières, en ombres chinoises.
Ballets mécaniquesRéalisée en collaboration avec la Fondation Calder de New York, dirigée par Sandy Rower, le petit-fils de l'artiste, la conception de l'exposition a été confiée à l'incontournable et inépuisable commissaire suisse Hans Ulrich Obrist, qui a concrétisé pour le Centro Botin un axe sur lequel il se documente depuis une vingtaine d'années : les projets d'artiste jamais réalisés, " des projets relégués aux oubliettes, directement ou indirectement censurés, incompris, rejetés par les autorités, perdus ou non réalisables ".
On découvre au gré de ces -" Calder Stories ", histoires méconnues et projets restés dans les tiroirs, des maquettes de toutes dimensions. Comme celles élaborées, en 1939, pour le zoo du Bronx, à New York, avec une série d'arbres aux formes abstraites, destinés à l'habitat de la faune africaine.
Egalement de 1939, trois petites maquettes (mécanisées par l'artiste pour simuler l'action du vent), -représentant les quatre éléments et imaginées pour l'Exposition universelle de New York, n'ont pas vu le jour, mais l'une d'elles a finalement été réalisée à une échelle moindre pour le -Moderna Museet de Stockholm, devant lequel elle trône depuis 1961. Corps à corps d'acrobates, d'équilibristes, d'animaux ou formes plus abstraites, une vingtaine de fascinants petits mobiles en bronze, de 1944, sont en réalité un recyclage anobli de maquettes en plâtre conçues pour être muées en uvres en béton, de 10 à 12 mètres de haut.
Chaque projet révèle au passage des facettes et étapes du processus créatif de Calder, comme son engagement constant dans l'innovation jusqu'à la fin de sa vie. L'ensemble est étoffé de projets ayant bel et bien abouti, mais moins connus, qui viennent nourrir ce paysage mental, comme cette amusante BMW aux couleurs primaires, qu'il a peinte en 1975 pour les 24 Heures du Mans – le mouvement, encore.
Les méticuleuses partitions de ballets mécaniques et musicaux qu'il prévoyait au tournant des années 1940 pour le théâtre ont été transposées numériquement pour l'exposition. Inédites, ces -simulations sur écran donnent à voir les mouvements sculptés, hypnotiques, aux échos cosmogoniques, imaginés par l'artiste qui se situait dans sa recherche au croisement (et à l'avant-garde) de la performance et de l'art -cinétique.
Emmanuelle Jardonnet