Je ne voulais pas d'une vie -rangée. " Il a 18 ans, ce Britannique candidat malheureux à la Légion étrangère. Alors il sera journaliste. Vite propulsé correspondant de l'Agence France-Presse à Phnom Penh, Jon Swain a 22 ans en 1970 et une histoire à " couvrir " : les dernières années de la guerre américaine en Indochine.
Ce qu'il relate ici, excellemment. Jon Swain prend tous les -risques. Il est avec les soldats, les civils, les vainqueurs et les vaincus, d'un camp ou d'un autre – au Cambodge, au Vietnam et au Laos. Mais River of Time – le titre original a été conservé dans cette remarquable traduction – n'est pas qu'un récit puissant sur une -tragédie. Pas seulement un des ouvrages de référence sur un -chapitre de la guerre froide. Cette chronique est nourrie au feu d'une triple passion – pour l'Indochine, pour une femme et pour le goût des choses de la vie quand la mort rôde alentour.
Jon Swain ne tombe dans aucun des pièges du genre, le style Corto Maltese du journalisme en pays exotique. Il est trop honnête avec lui-même. Ces années sont, pour lui, des années heureuses, il le dit, même si on ne ressort pas -indemne du spectacle de tant d'horreurs accumulées.
" Les éléments d'une alchimie unique " étaient réunis : la beauté singulière de l'Indochine ; la guerre et cette étrange liberté qu'elle procure dans le chaos qui l'accompagne ; la femme aimée ; enfin, une histoire tragique et complexe à raconter.
Document historiqueLe cur du récit est à Phnom Penh, où se trouve Jon Swain quand la ville cambodgienne tombe aux mains des -Khmers rouges, le 15 avril 1975. Il -assiste alors à l'évacuation forcée de la capitale cambodgienne, épisode annonciateur de la folie génocidaire qui allait suivre. Ces pages sont un document historique.
Pas de vantardise chez Jon Swain : le journaliste est un privilégié – " protégé par sa peau blanche " à Phnom Penh, " passager " de luxe " en transit dans l'enfer vietnamien ". Il aime le risque : " La proximité de la mort dans des paysages d'une telle splendeur me procurait une ivresse, un accès de vitalité inatteignables ailleurs. "
" L'après " est plus dur, fait de la culpabilité éprouvée pour les courageux fixeurs locaux, restés sur place, pour la femme aimée aussi, charmante Franco-Vietnamienne, perdue, retrouvée puis reperdue parce que le journaliste repart toujours, en quête " d'autres guerres pour se sentir vivant ".
L'intervention américaine a semé la mort et le chaos. Mais la chute de Saïgon, le 30 avril 1975, et, plus encore, celle de Phnom Penh ont ouvert la porte à d'autres drames : la fin des illusions marque le terme de ce séjour en Indochine. Ne reste que le souvenir du Mékong – " le fleuve de ma jeunesse ".
Alain Frachon