La Conférence sur la vie sauvage a réglementé le commerce de dizaines de nouvelles espèces menacées
Trois mois après l'alerte mondiale des scientifiques sur l'effondrement de la vie sauvage, qui pourrait voir un million d'espèces s'éteindre dans les prochaines décennies, la 18e Conférence des parties (182 pays et l'Union européenne) de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (Cites), réunie du 17 au 28 août à Genève, devait montrer sa détermination. " Il y a urgence à changer en profondeur la façon dont nous gérons les ressources naturelles. Le statu quo n'est plus une option ", a ainsi déclaré, en ouverture de la session, Ivonne Higuero, la secrétaire générale de la Cites.
Le champ de cette convention, entrée en vigueur en 1975, est limité au commerce international des espèces sauvages. Elle n'a pas de compétence sur les autres facteurs – perte des habitats naturels, surexploitation, pollutions, changement climatique, espèces invasives – qui concourent au recul de la biodiversité. Elle contribue à la protection des espèces en les inscrivant à son annexe I, qui interdit leur commerce international, ou à son annexe II, qui l'encadre. Ces deux annexes couvrent aujourd'hui plus de 35 000 espèces, dont environ 5 600 animales et près de 30 000 végétales.
L'édition 2019 de la conférence de la Cites, qui se tient tous les trois ans, a été extrêmement productive, puisqu'une protection va être accordée à plusieurs dizaines de nouvelles espèces sauvages. " Nous sommes très satisfaits des résultats, commente Loïs Lelanchon, du Fonds international pour la protection des animaux (IFAW). Les décisions prises à Genève par les représentants des Etats montrent qu'il existe une prise de conscience de plus en plus forte de la nécessité de réguler le commerce international qui menace la survie de nombreuses espèces. "
Trophées de chasseC'est l'une des grandes gagnantes de cette session. La girafe, dont il existe neuf sous-espèces (d'Angola, masai, de Nubie, réticulée…), fait son entrée dans la liste des espèces protégées par la Cites. A l'initiative de six pays – Kenya, Mali, Niger, République centrafricaine, Sénégal et Tchad –, elle figure désormais à l'annexe II de cette convention. Le commerce international de produits issus de cet animal, comme les trophées de chasse, va être étroitement contrôlé, avec la nécessité de permis d'exportation et de possibles sanctions.
Victime de ce qu'on appelle une " extinction silencieuse ", le plus grand mammifère terrestre (5,3 mètres de hauteur en moyenne pour le mâle), évoluant dans la savane et les forêts d'Afrique subsaharienne, a vu son territoire se fragmenter et se réduire comme peau de chagrin. Sa population a décliné, de 150 000 individus à moins de 100 000 au cours des trente dernières années, et l'espèce, qui a presque disparu d'Afrique de l'Ouest, est aujourd'hui éteinte en Erythrée, en Guinée, en Mauritanie, au Nigeria, au Sénégal et peut-être au Mali.
En cause, la destruction de son habitat, la chasse illégale (notamment pour la viande de brousse), les conflits armés, mais aussi le commerce international de parties de son corps. S'il est difficile d'évaluer ce trafic, les rares données disponibles révèlent que, de 2006 à 2015, les Etats-Unis ont importé 39 516 " articles " provenant de girafes (os, peau, poils, pieds, queues…), transformés en manche de couteau, crosse d'arme à feu, tapis, support de table, bracelet, chaussures…
En Europe, des recherches menées en juin et juillet 2018 sur les offres de vente en ligne ont recensé 321 produits dérivés de girafes – dont un animal entier naturalisé – proposés dans sept pays (Allemagne, Belgique, France, Grèce, Italie, Espagne et Royaume-Uni). Un commerce mortifère dont la " reine de la savane " devrait être à l'avenir mieux préservée.
Une attention particulière a été accordée cette année à la faune marine, avec l'inscription de dix-huit espèces de requins et de raies à l'annexe II. C'est le cas du requin mako dont il existe deux représentants, le requin-taupe bleu et le petit requin-taupe. Ce grand migrateur, le plus rapide des squales – d'où son surnom de " faucon pèlerin de la mer " –, est classé en danger d'extinction par l'Union internationale pour la conservation de la nature, même si sa population mondiale n'est pas connue. Quasiment disparu en Méditerranée et en fort déclin dans l'Atlantique Nord comme dans l'océan Indien, il est surtout menacé par la pêche, pour sa chair et ses ailerons.
C'est aussi le cas de seize espèces de raies-guitares, des poissons cartilagineux présentant certaines caractéristiques des requins, dont les stocks sont en déclin rapide, car ils sont très prisés, notamment en Asie et en Afrique, pour la chair de leurs nageoires de grande taille. Les populations de deux d'entre elles, la raie-guitare fouisseuse et la raie-guitare épineuse, ont déjà chuté de plus de 70 %, et elles pourraient encore fondre de moitié dans les années à venir. Certaines espèces pourraient connaître le sort des poissons-scies, qui font partie de la grande famille des raies, et qui ont quasiment disparu des océans.
S'ajoutent, à l'annexe II encore, des animaux peu connus : trois espèces d'holothuries à mamelles, aussi appelées concombres de mer. Ces organismes au corps mou et cylindrique vivent dans les zones littorales, les récifs coralliens et les herbiers marins de la région indo-pacifique, et jouent un rôle-clé – semblable à celui des vers de terre pour l'humus – dans les écosystèmes des fonds marins. Prélevées à grande échelle pour être consommées après séchage sous forme de " bêches-de-mer ", notamment en Chine et en Asie du Sud-Est, les holothuries sont en voie d'épuisement.
Le bilan est plus contrasté pour l'éléphant d'Afrique, dont les effectifs ont chuté, d'environ 12 millions voilà un siècle à seulement 400 000 aujourd'hui, sous l'effet conjugué du braconnage – 20 000 pachydermes sont abattus chaque année pour l'ivoire de leurs défenses – et de la réduction de son espace vital.
Quinze espèces de mygalesPlusieurs propositions étaient sur la table, qui visaient à affaiblir ou au contraire à renforcer la protection de cette espèce emblématique. Aucune n'a obtenu la majorité des deux tiers requise. Côté positif, l'interdiction du commerce international de l'ivoire est maintenue. Elle est entrée en vigueur en 1989, avec l'inscription de l'espèce à l'annexe I de la Cites, mais les pays d'Afrique australe (Afrique du Sud, Botswana, Namibie et Zimbabwe) avaient ensuite obtenu que leurs populations d'éléphants, les plus nombreuses, soient rétrogradées à l'annexe II. Cela leur a permis de vendre des stocks d'ivoire, appartenant à leurs gouvernements, au Japon et à la Chine.
Ces mêmes pays souhaitaient pouvoir effectuer une nouvelle vente, afin de financer leurs actions de conservation et de gestion de l'espèce. Leur demande a été rejetée, car le risque aurait été que la réouverture du marché légal de l'ivoire relance aussi le marché illégal et donc le braconnage qui l'alimente.
Côté négatif, la proposition, soutenue par les 32 pays de la Coalition pour l'éléphant d'Afrique, de réinscrire à l'annexe I toutes les populations de pachydermes – y compris d'Afrique australe –, pour leur garantir une protection maximale, a été repoussée elle aussi. L'Union européenne, qui a mis ses vingt-huit voix dans la balance pour faire échec à cette proposition, considère que la mesure la plus efficace consiste à fermer les marchés nationaux de l'ivoire, comme l'ont fait la France en 2016, les Etats-Unis la même année et surtout la Chine depuis le 1er janvier 2018.
Une résolution portée par plusieurs pays africains, qui appelait à la fermeture urgente de tous les marchés nationaux de l'ivoire légal – notamment ceux du Japon et de l'Union européenne –, a du reste été examinée à Genève. Mais elle n'a pas été adoptée, la Cites demandant seulement aux pays où le commerce intérieur de l'ivoire est autorisé de rendre compte à la prochaine conférence – dans trois ans donc – des mesures mises en uvre pour ne pas contribuer au trafic illégal et au braconnage.
Par ailleurs, les ONG saluent une autre décision : l'interdiction, " sauf circonstances exceptionnelles ", de la vente d'éléphants capturés vivants – généralement des éléphanteaux – à des zoos et des cirques, une pratique jusqu'à présent autorisée par le Botswana et le Zimbabwe.
D'autres représentants de la faune sauvage vont eux aussi bénéficier d'une protection : la loutre cendrée et la loutre d'Asie (portées à l'annexe I), dix-huit espèces d'iguanes à queue épineuse (annexe II), le gecko tokay (annexe II), la tortue étoilée de l'Inde (promue à l'annexe I), de même que quinze espèces de mygales arboricoles et ornementales (annexe II). Par ailleurs, la demande de l'Eswatini (ex-Swaziland) de rouvrir le commerce des cornes de rhinocéros blancs du sud a été rejetée.
Enfin, même si une moindre attention a été accordée au règne végétal, la Cites a décidé de mieux encadrer le commerce de certaines essences d'arbres tropicaux à forte valeur commerciale. Elle a ainsi inscrit à son annexe II le cyprès de Mulanje (l'arbre national du Malawi), le padouk d'Afrique (une espèce de bois de rose) et toutes les espèces de cèdres d'Amérique latine. Au terme de cette session, la Cites s'est félicitée d'une " liste impressionnante de décisions faisant progresser la conservation et l'utilisation durable de la vie sauvage à travers le monde ".
Pierre Le Hir