Dans " Le Corps de la reine ", l'historien Stanis Perez raconte six siècles d'épouses royales entre rites, politique, culture et fantasmes
L'historien Stanis Perez poursuit son enquête sur l'incarnation de la monarchie française. Après Le Corps du roi (Perrin, 2018), voici Le Corps de la reine, volet complémentaire, attendu et tout à fait stimulant. Si le corps du roi, incarnation de l'Etat, est la plus puissante expression de la continuité du pouvoir, celui de la reine est d'abord l'instrument d'une fécondité : il " produit " la descendance ; la survie d'une dynastie passe avant tout par cet engendrement multiple et légitime d'un couple dûment marié.
La loi salique imposait de concevoir un maximum d'enfants pour être certain de disposer d'un héritier mâle le jour de la mort du roi, meilleur moyen d'éviter le fractionnement du domaine. Sans oublier un autre atout essentiel de ce corps féminin procréateur : pouvoir disposer également de filles en bonne santé à marier aux quatre coins du continent afin de négocier des alliances avec les royaumes voisins, amis ou ennemis – ce grand marchandage des princesses de l'ancienne Europe.
Avec une constante ambition synthétique, Stanis Perez montre bien la place de l'organe de procréation dans toutes les représentations de la reine et dans l'ensemble des rites qui fondent son existence, qu'elle soit quotidienne ou rendue publique par l'étiquette de cour.
Cependant, l'enquête souligne également les évolutions du corps de la reine de France, en fonction des contextes et surtout des personnalités de ces princesses, pour la plupart d'origine étrangère, d'Isabeau de Bavière, à la fin du -XIVe siècle, à Marie-Antoinette, en passant par Marie de Médicis, Anne d'Autriche ou Marie Leszczynska de Pologne. Et il apparaît vite qu'une reine de France ne se réduit pas à un organe reproducteur.
Car le féminin s'invente un pouvoir monarchique, parfois politique dans le cas de ruptures historiques (régence en 1610 pour Marie de Médicis, ou Révolution de 1789 pour Marie-Antoinette), le plus souvent courtisan – la Maison de la reine emploie des dizaines de " demoiselles aristocratiques ", véritable Etat féminin dans l'Etat masculin –, ou encore artistique et culturel. La reine peut légitimement revendiquer la haute main sur l'art, par ses images, ses goûts et les moyens dont elle dispose. Elle devient en quelque sorte le " ministre de la beauté ", ce qui est essentiel dans une monarchie française d'apparat et de prestige culturel.
Le livre s'achève sur le dérèglement de cette incarnation, ce que Stanis Perez nomme le " corps saccagé " de la reine, notamment celui de Marie-Antoinette, à la fin de l'Ancien Régime. Pourtant, l'intimité sexuelle du couple royal, dès le mariage, en 1770, du futur Louis XVI et de la princesse viennoise, avait été retirée du domaine des " choses publiques ". Attitude de repli sur la sphère privée qui se révèle paradoxalement lourde de menaces : la logique de l'attaque devient celle du regard dérobé.
Selon l'étiquette, l'intimité corporelle du couple monarchique, que ce fût l'acte procréateur, le coucher, la toilette ou le souper, était offerte à travers un cérémonial codifié dont les courtisans étaient à la fois les témoins et les propagateurs. L'écriture du scandale de la fin du XVIIIe siècle va en décrire publiquement les secrets et l'obscénité. Le corps de la reine devient le lieu de tous les fantasmes.
Une porte s'est refermée sur la vie privée, mais à travers cette porte, on veut regarder, puisque c'est interdit. C'est ce point de vue, celui du " trou de la serrure ", qui met à bas le corps de la reine de France.
Antoine de Baecque