Le M5S et la gauche se sont entendus pour maintenir Giuseppe Conte, mais négocient encore un programme
Le chapitre de la crise politique italienne, provoquée au cur de l'été par le ministre de l'intérieur Matteo Salvini, chef de la Ligue (extrême droite), s'est refermé. Jeudi 29 août le président de la République, Sergio Mattarella, a reçule premier ministre sortant Giuseppe Conte au palais du Quirinal pour le charger officiellement de former un nouveau gouvernement. Selon la formule, Conte a accepté sa charge " avec réserve ", le temps de mettre sur pied un programme de gouvernement avec sa nouvelle équipe, qui rassemblera le Mouvement 5 étoiles (M5S, antisystème) et le Parti démocrate (PD, centre gauche).
Cette crise aura duré trois semaines qui auront vu se succéder coups de théâtre, coups bas et coups de bluff. C'est dans la matinée de mercredi que le dernier verrou, qui empêchait la mise en place d'une nouvelle coalition, a sauté. Les discussions bloquaient en effet sur la reconduction de Giuseppe Conte à la tête du gouvernement, que le M5S estimait non négociable.
Dans la matinée, le secrétaire général du PD, Nicola Zingaretti, annonçait que sa formation se rangeait derrière ce choix, ouvrant ainsi la voie à des tractations officielles. En échange, le PD devrait obtenir le poste de vice-président et envoyer un des siens à Bruxelles pour occuper le poste de commissaire européen réservé aux Italiens.
Jusqu'au dernier moment, la Ligue aura tout tenté pour que le M5S, son ancien allié de coalition, ne fasse alliance avec le centre gauche. Quelques minutes après avoir rencontré le président Mattarella, Luigi Di Maio, le chef politique du M5S, a confié aux journalistes que le parti de Matteo Salvini lui avait en effet proposé le poste de président du Conseil si celui-ci renonçait à faire un pacte avec le centre gauche. Un comble alors que M. Salvini n'a cessé de dénoncer " ceux qui s'accrochent à leurs fauteuils ". " Je m'intéresse à ce qu'il y a de mieux pour mon pays et non pour ma personne ", a expliqué M. Di Maio.
IncertitudesLe spectre d'élections anticipées – réclamées à cor et à cri par Matteo Salvini et ses alliés de Fratelli d'Italia (post-fasciste) et de Forza Italia (droite) – repoussé, s'ouvre désormais une nouvelle séquence dont beaucoup espèrent qu'elle sera un retour à plus de stabilité.
Pour autant, cet accord politique entre le mouvement populiste, majoritaire dans les deux chambres, et le parti de l'ex-premier ministre Matteo Renzi, troisième force du pays, reste plein d'incertitudes. La Péninsule semble avoir pris l'habitude de coalitions pour le moins déroutantes ces derniers mois, et celle qui se dessine ne déroge pas à la règle. Il y a deux semaines encore, tout opposait les deux partis : les grands travaux comme le Lyon-Turin (le M5S avait voté contre, accélérant la chute du gouvernement précédent), la politique sécuritaire ou encore le rapport aux institutions européennes en qui le PD a toujours eu confiance.
" Ce qui est paradoxal, c'est que ni Luigi Di Maio ni Nicola Zingaretti ne souhaitaient cet accord il y a encore une semaine ", explique Giuseppe Bettoni, professeur de sciences politiques à l'Université de Tor Vergata à Rome. " Zingaretti a été poussé à trouver un compromis ", précise-t-il.
Ainsi, Luigi Di Maio a expliqué que le futur gouvernement aura pour objectif de poursuivre les réformes engagées ces quatorze derniers mois, " ce pourquoi 11 millions d'Italiens ont voté " en 2018. " Coûte que coûte, nous voulons maintenir nos engagements ", a-t-il martelé, précisant qu'il ne " reniait rien " du travail accompli aux côtés de la Ligue ces quatorze derniers mois. Un discours qui n'incline pas à l'ouverture vers le PD. Quelques minutes plus tard, son chef Nicola Zingaretti a pourtant clairement appelé de ses vux une rupture avec la législature sortante, faisant part de son intention " de mettre fin à la saison de la haine, du ressentiment et de la peur ". Une référence sans ambiguïté aux mesures anti-immigration de Matteo Salvini, votées avec le soutien du M5S, et que le PD souhaite révoquer.
Leader affaibliQuel sera donc l'horizon de cette nouvelle alliance pour gouverner le pays ? L'équation ressemble déjà à un casse-tête alors que le gouvernement n'est pas encore sur pied. Si des noms sortent déjà dans les pronostics pour occuper les ministères, c'est avant tout sur les programmes que vont devoir s'accorder le PD et le M5S ces prochains jours. Les politiques sociales, d'éducation ou l'environnement devraient déboucher sur des positions communes. Le programme de réformes économiques et la politique européenne pourraient en revanche créer des turbulences.
" La continuité est devenue un totem pour le Mouvement 5 étoiles et s'incarne dans la figure de Conte ", souligne Giuseppe Bettoni. Mais si la figure du président du Conseil a mis tout le monde d'accord, ce choix de coalition risque d'accentuer les tensions à l'intérieur des partis. Le PD en a déjà fait les frais ce mercredi. Carlo Calenda, ancien ministre du développement économique des gouvernements Renzi et Gentiloni, a claqué la porte du parti et accusé ses dirigeants de " renoncer à combattre pour leurs idées et leurs valeurs ",dans une lettre ouverte.
Luigi Di Maio est pour sa part un leader affaibli qui s'est fait des ennemis en pactisant avec la Ligue. Selon les statuts du Mouvement 5 étoiles, il ne pourra effectuer de troisième mandat et les prochaines élections, si le gouvernement venait à tomber dans quelques mois, pourraient accélérer sa chute. Le programme de gouvernement devra surtout se confronter à la démocratie directe érigée en vertu cardinale par les vrais idéologues du M5S, Beppe Grillo, le fondateur du parti, et Davide Casaleggio, le fils du cofondateur Gianroberto Casaleggio.
Il sera soumis au vote de " Rousseau ", la plate-forme de participation en ligne que le parti utilise pour ses débats internes. Et si ce programme venait à être rejeté ? " Ce serait insensé que le sort politique de la 8e puissance du monde dépende du vote de cet algorithme pour le moins opaque ", relève Giuseppe Bettoni. Un signe que l'Italie n'est décidément pas une démocratie comme les autres.
Olivier Bonnel