L'écrivaine consacre un livre intime et lumineux à l'intellectuel Pierre Pachet, décédé en 2016
Son cur s'est arrêté de battre le premier jour de l'été, sur la cuvette des toilettes. La veille, il avait été au cinéma, épuisé mais bravache, désireux, une fois de plus, de " se donner au mouvement ", " se jeter dans la vie (…) comme on se jette à l'eau ". Ecrivain, enseignant, critique et penseur de la littérature, intellectuel antitotalitaire, Pierre Pachet est mort le 21 juin 2016 chez lui, à Paris, à 79 ans.
Mue par l'adoration qu'elle lui vouait mais aussi l'impérieuse nécessité de l'écriture, qui avait irrigué la vie de son père, Yaël -Pachet lui consacre un livre intime et lumineux, à la fois journal de deuil, au plus juste des émotions et des sentiments, et fresque identitaire et familiale : Le Peuple de mon père. Elle retrace ainsi la vie de Pierre, fils de -Simkha (" joie " ou " gaieté ", en hébreu), juif d'Odessa arrivé en France avant la première guerre mondiale, et de Ginda, originaire de Lituanie, tous deux porteurs d'une " mémoire en souffrance ".
Elevé dans les traditions juives, la pudeur et la mélancolie, Pachet est d'abord un étudiant taiseux avant de devenir un enseignant charismatique, professeur de littérature à Jussieu et dans plusieurs universités étrangères. Pilier de La Quinzaine littéraire, il est l'auteur d'une vingtaine de livres, dont les bouleversants Adieu (Circé, 2001), adressé à sa femme Soizic, et Autobiographie de mon père (Belin, 1987), sur les traces duquel marche le texte de Yaël Pachet. Il refusait pour autant de se dire écrivain.
Sous la plume de sa fille se -dessinent les traits d'un homme intense, à la fois heureux et -anxieux, bougon et attentif, austère et prodigieusement vivant, écartelé entre une " disponibilité à l'égarement, à la distraction " et une " exigence de vérité, une -conscience inquiète du réel ". Elle dit la force et la plénitude, l'autorité et le charme, l'allure. Puis viennent, au cours des dernières années, la maladie, la solitude.
En filigrane du récit, Yaël Pachet livre des sensations et des images, fragments épars d'un quotidien enfui : le bruit des mules de son père quand elles frottaient le parquet, la manière -singulière qu'il avait de s'asseoir sur une chaise, " de s'y tenir au bord, dans un déséquilibre constant ", les cigarettes fumées en silence sur le balcon, quand il venait la voir à Nantes.
Une forme de dépassementMéditation sur la mort, " cet -impossible à penser ", et l'écriture, les deux étant ici intimement mêlées, Le Peuple de mon père -appelle à une forme de dépassement : " Je me propose de faire en sorte que sa mort ne soit pas un choc sourd dans ma vie, et si je voulais dire l'ambition de mon propos, ce serait de danser une dernière fois avec lui et, dans ce mouvement, de vérifier que je suis encore bien vivante, que je ne suis pas morte avec lui. Ne pas mourir étant la vraie, la seule cause de l'écriture, à mon sens. "
Habitée par le " sens de l'héritage ", l'auteure mesure dans le " trou noir " de la mort de son père l'étendue de ce qu'il lui a transmis : le goût de l'écriture et de la vie intérieure ; une vigilance et une gravité ; le devoir d'être -celui que l'on est. Au-delà, ce livre sensible et juste ouvre sur une profondeur, un mystère. " J'ai toujours sacralisé mon père, sans vergogne, avec l'acharnement du disciple (…), écrit Yaël Pachet, parce qu'il y avait un sacré non pas en lui, mais auquel il donnait accès, un au-delà de lui qui aspirait mon attention et la soufflait plus loin, vers un au-delà qui n'était pas religieux, mais qui l'était peut-être un peu, comme est un peu religieuse ou sacrée la beauté du ciel au-delà de la frondaison des arbres. "
Solenn de Royer