Disparition et omission

Jean Detrez est fonctionnaire à la Commission européenne, à Bruxelles, spécialiste en prospective stratégique. La pros-pective, se tue-t-il à expliquer à ses amis (et à nous, vu qu'il est le narrateur), n'est pas de la voyance, mais au contraire un moyen de construire l'avenir. Lui est un pro de la blockchain, cette technique de sécurisation et de stockage des données informatiques, dont l'application la plus connue est celle du minage de bitcoins.

A l'occasion d'un séjour à Tokyo, où il doit donner une conférence, notre héros se voit proposer un détour louche par la Chine pour causer cryptomonnaie. L'un de ses interlocuteurs, John Stavropoulos, semble égarer exprès sous son nez une clé USB bourrée de documents compromettants sur des systèmes de piratage. Mais le roman d'espionnage, qui s'était engagé sous le signe de Xi Jinping, se voit dans les dernières pages soudain interrompu et totalement " hacké " par un autre récit, lié au père du narrateur, lui-même ex-commissaire européen.

La Clé USB annonçait la couleur dès la première page : c'est une histoire de " blanc ", de disparition et d'omission. On pense à l'analyse de Derrida dans L'Ecriture et la Différence (Seuil, 1967) : toute parole est " soufflée ", tout discours est dérobé, à la fois parce qu'il vient de plus loin que moi (ici, du père), et à la fois parce que, en le disant, je suis dépossédé de sa signification. Dès lors, note Derrida, le sujet parlant " cherche en vain une place toujours manquante ". On ne s'étonnera donc guère de la détresse de Detrez.

E.  Lo.

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