Brexit : Un " outrage constitu-tionnel "

Mercredi 28  août, Boris Johnson a montré son vrai visage : " coûte que coûte ", cela peut vouloir dire se passer de Westminster. Faire taire les élus du peuple, ces députés qu'il ne contrôle pas, car il n'a techniquement qu'une voix de majorité à la Chambre des communes, et qui menacent de tout faire dérailler.

Le speaker de la Chambre des communes, John Bercow, a qualifié la démarche du premier ministre d'" outrage constitutionnel ". L'opposition crie au coup d'Etat déguisé. La première ministre écossaise, Nicola Sturgeon, a traité Boris Johnson de " dictateur au petit pied ". Des manifestations spontanées de citoyens indignés ont eu lieu dans plusieurs grandes villes. Une pétition de protestation a rassemblé plus d'un million de signatures en quelques heures. La procédure dont se prévaut Boris Johnson a néanmoins toutes les apparences de la légalité : la reine Elizabeth a d'ailleurs acquiescé sans tarder à sa requête de suspendre les travaux du Parlement pendant cinq semaines, entre le 9  septembre et la mi-octobre.

La justification officielle de cette démarche est la volonté du nouveau chef de gouvernement de préparer un programme législatif " audacieux et ambitieux ", que la souveraine exposera dans son discours traditionnel devant le Parlement le 14  octobre, ce qu'il dit ne pouvoir faire tant que le Parlement est en session. Les experts reconnaissent volontiers qu'une pause serait la bienvenue dans cette session parlementaire, l'une des plus longues de l'histoire britannique. Mais ils font valoir aussi que la crise que traverse la vie politique britannique est exceptionnelle. Et surtout, là encore, l'artifice de M. Johnson ne trompe personne : ce qu'il veut en réalité à travers cette procédure, c'est empêcher les députés de s'organiser pour faire échec à un Brexit sans accord avec l'Union.

Ce n'est pas seulement la fierté de Westminster et la réputation du Royaume-Uni comme bastion de la démocratie représentative qui sont en jeu dans ce nouveau coup d'éclat de Boris Johnson. Car que vise celui-ci, au fond, dans cette démarche ? Il cherche à exacerber la polarisation au sein de l'opinion britannique, que la question du Brexit a douloureusement divisée depuis trois ans, et à jouer le peuple contre le Parlement. C'est le propre du populisme.

Le premier ministre joue avec le feu. L'un des scénarios possibles à Westminster est le vote par les députés d'une motion de défiance lorsqu'ils se réuniront la semaine prochaine. M. Johnson a laissé entendre que, dans ce cas, il pourrait refuser de se démettre, dissoudre le Parlement et n'organiser des élections qu'après le Brexit.

Boris Johnson ne doit pas oublier que son mandat de premier ministre repose lui-même sur une légitimité démocratiquement contestable – il n'a, après tout, été choisi à ce poste en juillet que par un peu plus de 90 000 militants d'un Parti conservateur très affaibli. Une seule issue au chaos qui paralyse la vie politique britannique depuis le référendum de juin  2016 paraît aujourd'hui réaliste : convoquer de nouvelles élections. L'exercice n'est pas sans risques, vu l'état de confusion des forces politiques traditionnelles et le militantisme extrémiste de Nigel Farage. Mais on voit mal comment la démocratie britannique peut traverser cette crise sans une relégitimation à la source, celle du suffrage universel.

Droits de reproduction et de diffusion réservés Le Monde 2019.
Usage strictement personnel.

L'utilisateur du site reconnaît avoir pris connaissance de la Licence de droits d'usage, en accepter et en respecter les dispositions.