Un président seul en scène, et plus désireux que jamais de le faire savoir ; un gouvernement transformé en chambre d'enregistrement des décisions prises à l'Elysée, " couleuvres " budgétaires comprises ; le Parlement aux abonnés absents : la Constitution du 4 octobre 1958 franchit, avec une indéniable vigueur, le cap du demi-siècle.
La crise financière a renvoyé aux oubliettes les timides avancées contenues dans la loi constitutionnelle du 23 juillet, qui est censée, selon ses promoteurs, rééquilibrer les pouvoirs au profit du Parlement. Le contraste avec les Etats-Unis est saisissant. De l'autre côté de l'Atlantique, élus républicains et démocrates ont pris le temps de débattre de l'opportunité et des modalités du plan Paulson. La Chambre des représentants l'ayant rejeté le 29 septembre, une nouvelle mouture a été présentée devant les sénateurs américains, qui l'ont adoptée jeudi 2 octobre.
En France, un seul mot d'ordre prévaut : silence dans les rangs ! Pour avoir laissé entendre que la crise bancaire ne pouvait être tenue pour unique responsable de la situation économique et financière du pays, les dirigeants de l'opposition ont été sévèrement rabroués. " Irresponsable ", a estimé le porte-parole de l'UMP, Frédéric Lefebvre.
A l'ouverture des journées parlementaires du parti majoritaire, à Antibes, jeudi 2 octobre - où avaient été placardées une quinzaine de grandes photos de Nicolas Sarkozy -, le président du groupe UMP de l'Assemblée nationale, Jean-François Copé, a donné le ton : " Il ne faut pas perdre de vue que l'essentiel, c'est que nous sommes très engagés derrière le président de la République. Nous sommes à 1 000 % derrière lui ", a-t-il indiqué. " En période de crise, il ne peut y avoir de codécision. Il faut qu'on laisse la main au gouvernement, même s'il doit y avoir association quotidienne du Parlement aux décisions prises ", a déclaré pour sa part le député UMP de Haute-Garonne Benoist Apparu.
Et si un débat (sans vote) sur la crise financière aura bien lieu à l'Assemblée nationale, le 8 octobre, l'Elysée s'est employé à en limiter par avance la portée. Conseiller spécial du chef de l'Etat, Henri Guaino a ainsi indiqué, jeudi 2 octobre sur Canal+, que " ce n'est pas le temps du débat ". Le " pouvoir exécutif est en charge de prendre ses responsabilités ", a précisé ce non-élu.
Au demeurant, comment le Parlement français pourrait-il sérieusement débattre sur le fond de la politique économique et financière du gouvernement sans être doté - à la différence, là encore, du Congrès américain - d'outils d'évaluation comparables à ceux dont dispose l'exécutif ?
Qu'importe : hier libérateur d'otages, le président de la République veille désormais sur l'épargne des Français.
Que demande le peuple ? Peu de chose de fait, en matière institutionnelle, l'opinion étant nettement moins préoccupée par les règles du jeu politique que par ses conséquences sur la vie quotidienne. Par ailleurs, la seule expérience institutionnelle distincte qui soit ancrée dans la mémoire collective française est celle du " régime des partis " de la IVe République, dont le souvenir est encore brandi comme un rappel à l'ordre dès qu'une réforme un tant soit peu ambitieuse est envisagée.
MISE EN SOURDINE DES ÉTATS D'ÂME
La légitimité du chef de l'Etat est pleine et entière depuis la réforme de 1962, qui a introduit son élection au suffrage universel. La pratique sarkozyste du pouvoir a parachevé l'édification d'un système où celui qui décide - le président - n'est nullement responsable, et où celui qui est responsable - le premier ministre, devant l'Assemblée nationale - ne décide de rien. Au prétexte de rompre avec la pratique " hypocrite " de ses prédécesseurs, M. Sarkozy se mêle ostensiblement de tout. Le problème est que, par un processus de vases communicants, les autres acteurs politiques menacent de ne plus s'occuper de rien.
Le premier ministre ? François Fillon, qui avait jadis théorisé la disparition de sa fonction, puis s'était construit un semblant d'identité politique sur le créneau de l'orthodoxie budgétaire, n'intervient plus publiquement que pour appeler à l'" union nationale " et assumer des choix qu'il était censé réprouver : les modalités de financement du revenu de solidarité active (RSA), le creusement des déficits. La ministre de l'économie, Christine Lagarde, fait acte de présence auprès des commissions des finances des deux Assemblées. A charge pour l'Elysée de corriger ses " gaffes ", comme son évocation d'une possible utilisation, pour le plan de sauvetage de la banque Dexia, d'une partie des recettes de la privatisation d'EDF, destinée aux universités.
Le Parlement ? Le nouveau président du Sénat, Gérard Larcher, aura déjà fort à faire pour rénover l'image de cette institution. Quant aux députés de la majorité, qui ont déjà très peu de marge de manoeuvre dans l'élaboration des lois, ils se voient désormais fermement incités à mettre en sourdine leurs états d'âme.
Les partis politiques ne sont pas en meilleure forme. Les élections législatives du printemps 2007 ont très nettement consacré la bipolarisation du paysage politique. Les deux extrêmes ont été une nouvelle fois écartés de la représentation nationale. Dispersées, les différentes familles du centre ne sont toujours pas parvenues à démontrer leur identité et leur utilité. Les Verts et le Parti communiste n'en finissent pas de perdre les plumes qui leur restent.
Un tel contexte aurait dû accroître la pression sur les deux partis dominants, renforcer les exigences et les attentes à leur égard. Force est de constater qu'ils ne répondent pas à l'appel. A la différence du général de Gaulle, qui prétendait se situer " au-dessus des partis ", M. Sarkozy s'est occupé de près de l'UMP, veillant notamment à ce que le parti majoritaire ne soit plus doté d'un président, ce qui en dit long sur la force de proposition qui en est attendue en haut lieu. Le Parti socialiste, lui, est si mal en point qu'un meeting-concert façon " télévangéliste " de Ségolène Royal a suffi à le faire vaciller. En appelant 4 000 fidèles à partager des " vibrations extraordinaires ", sans faire la moindre allusion au parti dont elle est issue, l'ancienne candidate à l'élection présidentielle a fait coup double : se plaçant sur le terrain de la modernité présumée, elle est en parfaite adéquation avec un paysage politique passablement chamboulé.
Jean-Baptiste de Montvalon
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