La Russie, dépendante des capitaux étrangers, est confrontée à un manque de liquidités

La tourmente qui sévit sur les marchés financiers n'a pas épargné la Russie. Entre mai et septembre, la Bourse russe a chuté de 58 %, le marché financier s'est grippé, des capitaux - entre 15 et 30 milliards de dollars (entre 11 et 22 milliards d'euros) selon les évaluations divergentes de la Banque centrale et du gouvernement - ont fui le pays... Vendredi 3 octobre, les cotations ont dû être suspendues à trois reprises sur le RTS, l'une des deux Bourses de Moscou, à cause d'une trop forte baisse.

La chute impressionnante de la Bourse doit cependant être remise en perspective. En Russie la capitalisation boursière est quinze fois inférieure à ce qu'elle est aux Etats-Unis.

Née de facteurs internes (déboires du pétrolier TNK-BP, guerre en Géorgie) qui ont conduit à un désengagement des investisseurs cet été, la crise a pris un tour nouveau en septembre, affectant tout le système financier. Mais cette fois-ci les causes sont externes. " A l'heure qu'il est, la situation est la résultante de facteurs externes qui illustrent à quel point le marché russe est dépendant du marché mondial ", explique Andreï Charonov, un des directeurs du fonds d'investissement Troïka Dialog.

D'après lui, " la spécificité russe, c'est que les institutions financières n'ont pas été atteintes par la crise des subprimes, cette pilule empoisonnée. Nos marchés financiers vont néanmoins sérieusement souffrir des conséquences, car le marché boursier russe est dépendant des capitaux étrangers. Nous sommes confrontés à un vrai risque de manque de liquidités. "

A crise exceptionnelle, mesures exceptionnelles, l'Etat a décidé d'injecter l'équivalent de 180 milliards de dollars (130 milliards d'euros) dans l'économie. Dernière intervention en date, le gouvernement et la Banque centrale ont, lundi 29 septembre, mis 50 milliards de dollars à la disposition des banques et des entreprises russes.

La Banque centrale a délégué la Vnechekonombank (VEB, l'équivalent de la Caisse de dépôts et consignations) pour prêter ces fonds aux entreprises endettées auprès d'entités étrangères, afin qu'elles puissent continuer à honorer leurs engagements. " L'action du gouvernement et de la Banque centrale est adaptée à la situation, sa pertinence doit être soulignée ", estime Philippe Delpal, président de BNP Paribas Vostok à Moscou.

LA CROISSANCE RESTE FORTE

La crise qui touche le pays a beau être la plus importante depuis celle de 1998, elles ne peuvent être comparées. " Si on prend une photo de la Russie aujourd'hui, on a un Etat riche ", rappelle le banquier français. Fort de la troisième réserve de change au monde, le pays a 563 milliards de dollars dans ses coffres, sans compter les 185 milliards de dollars du Fonds de stabilisation. La croissance reste forte (prévision de 5,7 % à 6 % pour 2008), le budget est en excédent depuis 2002, et, contrairement à 1998, l'Etat n'a pas de dettes.

Mais il y a un paradoxe. Si la dette publique est insignifiante (30 milliards de dollars), celle des entreprises publiques (Gazprom, Rosneft et d'autres) a fortement augmenté ces cinq dernières années. Elle atteint aujourd'hui 440 milliards de dollars. Cette dette est payable avec des échéances à très court terme, à la fin de l'année 2008. Pour éviter un défaut, le gouvernement a dû injecter des liquidités dans le système.

Les mesures adoptées ont évité le risque de faillite du système financier russe, mais seront-elles suffisantes ? Et quel impact aura la crise sur le développement de l'économie ? " Les conséquences négatives sont le risque d'inflation et la restriction de l'accès au crédit ", prédit M. Charonov. Privées de crédits, les entreprises auront du mal à financer leurs nouveaux projets. C'est d'ores et déjà ce qui se passe dans le BTP, un des secteurs moteurs de la croissance.

Toutefois la crise aura des effets bénéfiques, contribuant notamment à assainir le secteur bancaire. " Quelque 1 200 banques sont présentes en Russie, soit plus que dans toute l'Union européenne. Les trois quarts de ces banques sont faiblement capitalisées ", fait remarquer M. Delpal. Selon des analystes, des faillites de banques moyennes ne sont pas à exclure. Mais cette fois-ci, contrairement à 1998, les dépôts bancaires sont assurés. Un système de mutualisation du risque fonctionne depuis 2004.

Marie Jégo

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