THÉÂTRE
" La Vie devant soi ", succès fou au théâtre

Le texte de Gary, porté par Myriam Boyer

Depuis des mois - depuis sa création, à l'automne 2007, au Théâtre Marigny -, La Vie devant soi, version théâtre, remporte un succès fou. Rien d'étonnant : il y a dans le spectacle une humanité énorme. Celle qui traverse le célèbre livre de Romain Gary, alias Emile Ajar. Et celle de la comédienne Myriam Boyer, à qui la pièce a valu le Molière de la meilleure actrice.

Il faut croire que le public en a besoin, de cette humanité-là. Le spectacle, qui est aujourd'hui repris dans une des plus jolies salles de Paris, le Théâtre de l'Œuvre, continue à susciter, entre rire et émotion, un vrai engouement.

Cela tient d'abord, sans aucun doute, à l'histoire elle-même. En trente ans (le livre a été publié en 1975), elle n'a pas vieilli. Mais le contexte, lui, a changé, et la fait résonner un peu étrangement, cette histoire d'amour entre une vieille femme juive, ancienne prostituée, Mme Rosa, et le petit Mohammed, jeune Arabe abandonné. Elle a pris, en notre époque de crispations morales et identitaires, un léger parfum de paradis perdu.

Mais l'émotion très particulière que suscite le spectacle le montre : le public a envie d'y croire encore, à cette fraternisation entre Juifs, Noirs et Arabes, située ici dans le Belleville haut en couleur des années 1960.

Ce qui reste passionnant aujourd'hui, c'est la manière dont Romain Gary joue, en toute lucidité, avec la naïveté assumée de son sujet. Cette naïveté est constamment déjouée par le style, les inventions de langage de l'écrivain, qui fait voir toute l'histoire par le regard du petit Mohammed. Et c'est ainsi, avec légèreté, avec l'élégance qui était la sienne, que Romain Gary parle des choses les plus graves, de cette vieille femme un peu folle, rescapée des camps de la mort, et de ce gamin déjà abandonné par la vie, qui se demande en quoi consiste son identité arabe.

BOURRÉ D'ÉNERGIE

Pour le passage à la scène, il était évidemment impossible de garder toute la richesse du roman, fourmillant de personnages secondaires savoureux. Xavier Jaillard, l'adaptateur, qui joue aussi le tendre docteur Katz, a recentré l'histoire autour de la relation entre Mme Rosa et Mohammed.

Elle est portée, cette histoire, par des comédiens qui font la qualité du spectacle, même s'ils auraient mérité d'être un peu plus dirigés à certains moments. Myriam Boyer en tête, qui n'a rien à envier à la Simone Signoret du film de Moshe Mizrahi, hormis un poil de sobriété dans certaines scènes.

Sa générosité emporte pourtant l'adhésion, comme celle du jeune Aymen Saïdi, formidable Mohammed bourré d'énergie et de tendresse - un acteur à suivre. Dommage que le beau décor poético-onirique de Jean-Michel Adam ne s'accompagne pas de la même sensibilité dans la mise en scène de Didier Long. Mais ce qui compte avant tout ici, c'est la justesse de ton, et elle est au rendez-vous.

Fabienne Darge

La Vie devant soi,

d'après le roman de Romain Gary. Adaptation : Xavier Jaillard. Mise en scène : Didier Long. Avec Myriam Boyer, Aymen Saïdi, Magid Bouali et Xavier Jaillard. Théâtre de l'Œuvre, 55, rue de Clichy, Paris-9e. Mo Place-de-Clichy. Tél. : 01-44-53-88-88. Du mardi au samedi

à 21 heures, dimanche à 15 h 30, jusqu'au 31 décembre. De 10 ¤ à 40 ¤.

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