20.45 CINECINEMA CLUB
Tournage dans un jardin anglais

En 1760, le Révérend Père Laurence Sterne commença à publier un feuilleton intitulé La Vie et les opinions de Tristram Shandy, considéré depuis comme un chef-d'oeuvre de la littérature universelle. Satire en neuf volumes mêlant sermons et blagues dans un maelström ironique.

Tristram Shandy est le prototype du livre inadaptable. Ce dont Michael Winterbottom prend acte dans ce film sarcastique, en abyme. Tournage dans un jardin anglais décline la difficulté à faire un film, en suivant les aléas de l'adaptation cinématographique de cet objet littéraire non identifié qui, en filigrane, traite de la difficulté d'écrire.

Maquillage, identification à un rôle, brouillage fiction-réalité : Winterbottom suggère le malaise de l'artiste en montrant comment le comédien Steve Coogan doit à la fois interpréter Tristram Shandy (ses facéties, ses poses, son penchant à l'autodénigrement) et se préserver des parasites : un partenaire cherchant à lui voler la vedette, une idylle avec une assistante compromise par l'arrivée de son épouse, l'intrusion de caméras de télévision à vocation plus people que culturelle.

Subtil et drôle, le portrait de groupe de Winterbottom calque les déboires de Steve Coogan sur ceux de Tristram Shandy. Bouffons l'un et l'autre, mais tout autant préoccupés de visibilité sociale, objets de ragots et orchestrateurs d'une vie désordonnée.

A la collusion entre vie privée et vie publique (vedette de la télévision britannique, Steve Coogan fait - dit-on - réellement preuve d'un ego démesuré, et ses démêlés sentimentaux ont fait les délices de la presse à scandale), s'ajoutent les aléas professionnels : remises en question du scénario, financiers menaçant de se retirer au vu des rushes, décision d'engager une star en plein tournage... " Ce film est un vrai foutoir ! ", dit quelqu'un.

Effectivement : en apothéose, le dernier tiers de Tournage dans un jardin anglais est un constat pince-sans-rire de la folie qui s'empare d'une production cinématographique incapable de garder le cap. On entend fuser des répliques de nanar (" Mets ton bob, Dylan ! "), ou poser des questions burlesques (" Quoi de plus crédible qu'une star ? - Deux stars ! "). On voit débarquer Gillian Anderson (la Scully de la série " X-Files "), tandis que la costumière se fait reprocher d'être braquée sur la vérité historique. Steve Coogan est rassuré : " Le public ne saura jamais ce qui est vrai et ce qui est inventé. "

Jean-Luc Douin

FILM

Michael Winterbottom (GB, 2005). Avec Steeve Coogan, Rob Brydon, Keyley Hawes.

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