Au coeur de l'Afrique orientale, le lac Victoria comptait, il y a vingt ans, plus de 500 espèces de cichlidés. Pour la première fois, une équipe internationale explique l'extraordinaire épanouissement évolutif de ces petits poissons multicolores : contrairement aux pinsons de Darwin, les cichlidés ne se sont pas différenciés pour des raisons géographiques, mais du fait des variations de luminosité de leur habitat. Ces poissons, en effet, s'accouplent selon leur couleur, qui varie du rouge au bleu. Tandis que leur sensibilité spectrale, elle, change selon la profondeur d'eau à laquelle ils évoluent (ils voient mieux le rouge dans le fond, mieux le bleu vers la surface). Pour peu que le spectre lumineux se modifie lentement avec la profondeur, et que l'espace à partager soit assez vaste (la surface du lac Victoria représente un cinquième de celle de la France), de nouvelles espèces peuvent ainsi apparaître à l'issue de croisements entre partenaires de couleur légèrement différente.
Selon Ole Seehausen, qui a dirigé ces travaux à l'université suisse de Berne, ce phénomène expliquerait également - en plus de l'introduction, dans les années 1950, du farouche prédateur qu'est la perche du Nil - l'effondrement actuel de la biodiversité des cichlidés, qui ne comptent plus que 250 espèces : du fait de la pollution environnante, la profondeur éclairée n'y est plus que de quelques mètres, ce qui favorise l'homogénéisation des espèces préexistantes.
(Seehausen et al., in Nature du 2 octobre.)