Depuis Londres, l'incontrôlable Joseph Cassano a précipité la chute d'AIG

Le " Cirque " cher à John Le Carré était, dit-on, installé au 1 Curzon Street. Aujourd'hui, les espions en question ont été remplacés, dans l'immeuble moderne de marbre rose, par des experts en algorithmes et en financement structuré.

A l'exemple de Joseph J. Cassano, le président fondateur d'AIG Financial Products Corp. (AIG-FP), la filiale londonienne de l'American International Group. Les montages financiers hypercomplexes mis au point par l'opérateur ont joué un rôle capital dans le naufrage du premier assureur au monde, sauvé de la débâcle par l'Etat américain. Depuis, l'antenne londonienne a été rebaptisée Banque AIG, du nom de la filiale française d'AIG-FP, comme pour cacher le méfait.

L'histoire commence en 1987, un an après le " big bang " qui a largement ouvert la porte de la City aux établissements étrangers. AIG envoie Joseph Cassano à Londres pour tirer profit de cette libéralisation tous azimuts. Le New-Yorkais est confiant. Il a appris le métier chez Drexhel Burnham Lambert aux côtés de son idole, Michael Milken, la star des junk bonds, les célèbres obligations pourries.

Jusqu'à son arrivée, la petite tête de pont d'AIG s'était cantonnée à la vente de produits dits " vanille ", sans risque ni grande mise. Sur les bords de la Tamise, le nouveau venu a vite repris les habitudes de son ex-employeur, en mettant au point des instruments financiers fantastiquement complexes, à haut risque et à haut rendement. A l'instar des " CDO " (collateralized debt obligations), ces lots de créances bancaires commercialisées pour transférer à un tiers le risque de non-remboursement du crédit initial. Le petit génie d'AIG-FP réussit à prouver que ces complexes échafaudages aux noms barbares constituent en réalité un placement dont la rémunération dépasse largement le degré de danger.

Dans son bureau de Curzon Street, Joseph Cassano règne en maître sur son réseau d'émetteurs et d'acheteurs. Les plus grandes banques - Goldman Sachs en tête - figurent parmi ses clients ou exécutent ses ordres en Bourse. D'une audace sans borne, cet homme autoritaire agit en toute autonomie. Incapable de maîtriser les activités de Londres, le siège préfère ignorer ce qui s'y passe tant que les profits montent. L'intéressé, lui, fuit la presse et la publicité. Il travaille dur comme tout banquier américain, jusqu'à vingt heures par jour.

DES MARGES STRATOSPHÉRIQUES

La vieille dame new-yorkaise de l'assurance est conquise par la réussite de cet as des produits dérivés, qui règne en diva sur le secteur spéculatif de la compagnie. Les revenus d'AIG-FP explosent, quadruplant entre 1999 et 2005. Les marges bénéficiaires sont stratosphériques. Grâce à des primes de fin d'année mirifiques, les " Cassano Boys " deviennent millionnaires. En avril 2005, quand le mythique directeur général d'AIG, Maurice " Hank " Greenberg, doit démissionner en raison de pratiques comptables douteuses, Joseph Cassano est l'un des prétendants à sa succession, qu'il rate de peu.

" Sans être désinvolte, je ne vois aucun scénario qui nous ferait perdre de l'argent ", déclare Joseph Cassano en août 2007. Un mois plus tard, la crise du crédit hypothécaire emporte la planète finance. Touchée de plein fouet par la déroute des subprimes, la société de Curzon Street sombre. Le 12 février, contraint de démentir les rumeurs comme quoi elle se retrouve redevable de sommes gigantesques, AIG limoge Joseph Cassano. Le 15 septembre, les trois principales agences dégradent la note de la dette d'AIG en raison de la découverte d'un " trou " de 25 milliards de dollars (18,1 milliards d'euros) à Londres. Le Trésor américain doit sauver le conglomérat pour éviter une débâcle financière.

Le FBI a lancé une enquête pour fraude à l'encontre de vingt-six institutions de Wall Street, dont AIG. L'investigation vise à déterminer si les cadres ont eu une responsabilité dans la chute du mastodonte de l'assurance. Claquemuré dans sa villa du Connecticut, Joseph Cassano peut commencer à trembler. L'ombre de Michael Milken, condamné à dix ans de prison ferme en décembre 1990 pour escroquerie, passe...

Marc Roche

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