" Nous n'avons jamais été confrontés à des questions aussi complexes "

Wendelin Wiedeking, président du directoire de Porsche, s'inquiète d'une crise du crédit et de ses conséquences sur la bonne marche de l'économie et de l'industrie automobile

Wendelin Wiedeking, 56 ans, est président du directoire de Porsche depuis 1993. Il est l'un des artisans de la prise de contrôle du premier constructeur européen, Volkswagen, dont il détient désormais 35 %.



En tant qu'industriel, quelle est votre analyse des conséquences de la crise financière ?

Il faut absolument que le système bancaire puisse être stabilisé. Et, pour cela, il faut renoncer à certaines règles. Je pense en particulier à celles de Bâle 2 - nouvelle méthode de comptabilisation des risques des banques - . Dans une telle période d'incertitude financière, elles ne devraient plus pouvoir être appliquées. Car, si cette crise bancaire empêche l'économie réelle d'avoir des crédits, alors nous ferons face à une vraie crise économique internationale dont nous ne sommes pas en mesure d'apprécier toutes les conséquences. Les réactions des différents gouvernements, aux Etats-Unis ou en Europe, montrent qu'ils sont conscients de ce risque.



Un plan de sauvetage européen a été étudié. Une réponse communautaire vous paraît-elle la meilleure solution ?

La seule question essentielle sur ce sujet, c'est : " Qui va payer ? " Pour les hommes politiques allemands, chaque pays doit être responsable et assumer ses propres problèmes. Chaque pays doit se demander comment protéger ses propres banques. Nous ne sommes pas prêts à prendre une grosse marmite dans laquelle on mettrait des fonds que l'on répartirait équitablement auprès des différents pays. La cohésion entre les différents pays européens n'est pas encore assez grande pour procéder de la sorte. Nous n'avons pas encore suffisamment grandi ensemble.



Tous les marchés automobiles sont en baisse sensible. Comment l'industrie automobile peut-elle sortir de la crise ?

Au cours de la dernière décennie, nous n'avons jamais été confrontés à des questions aussi complexes. Mais il est nécessaire d'accepter les choses comme elles sont. Dès que les gens auront à nouveau de l'argent, je suis convaincu qu'ils achèteront de nouveau des voitures. Je ne suis pas de ceux qui pensent que la voiture n'a plus d'avenir et que chacun va prendre son petit vélo. Bien sûr, nous devrons faire plus attention à l'environnement, mais il y aura toujours une large palette de modèles.



Aux Etats-Unis, vos ventes ont chuté de 45 % en septembre. Cette crise semble gagner aussi les produits de luxe ?

Le luxe est partout. Je suis sûr qu'il existe suffisamment d'argent dans le monde et toujours assez de clients pour acheter des jolies choses. Cela a toujours été comme cela et cela le sera toujours. Ma conviction est qu'il y a de la place pour des voitures à tous les prix, du " low cost " au luxe.

Sur la question des Etats-Unis, à l'automne 2007, nous avons décidé de réduire le nombre des livraisons parce qu'on sentait déjà la crise pointer. Mais les modèles que nous n'avons pas vendus sur le marché américain ont trouvé preneurs au Moyen-Orient et en Chine. Notre avantage par rapport à nos concurrents est d'avoir des clients qui possèdent généralement un gros patrimoine.

Notre stratégie par ailleurs est de toujours produire un peu moins que ce que le marché peut absorber. Ce que l'on doit faire, en revanche, c'est investir lourdement dans les technologies pour proposer des produits attractifs.



Lorsque vous êtes arrivé à la tête de Porsche en 1993, l'entreprise était exsangue, quinze ans plus tard, elle est la plus rentable. Quelle a été votre recette ?

C'est tout simple. Beaucoup de travail, une bonne équipe et la conduite d'une bonne stratégie.



Pourrez-vous appliquer la même recette à Volkswagen alors ?

Volkswagen est sur la bonne voie. Et je peux vous affirmer qu'un jour Volkswagen sera numéro un mondial. Quand on a un objectif clairement défini, on sait vers quoi il faut aller. En revanche, la question de savoir quand Volkswagen sera numéro un mondial est un autre sujet !



Quel est l'intérêt pour Volkswagen de fusionner avec Porsche ?

Nous représentons une base d'actionnariat stable et solide. Dans une période où l'on sait qu'il est possible de faire de l'argent très vite, cette situation n'est pas négligeable, au contraire. A la différence d'un fonds d'investissement, nous sommes là pour durer. Avec Volkswagen, je veux créer une véritable union automobile qui ait une position très forte sur tous les marchés. Volkswagen a aujourd'hui neuf marques, avec Porsche cela fait dix. Grâce à cette large palette, nous allons être capables d'entrer en concurrence avec tous les constructeurs et nous aurons la possibilité d'être le leader.



Volkswagen peut-il continuer à exploiter ses marques de luxe (Bentley, Lamborghini...) et Audi son bolide R8, aux côtés des véhicules Porsche ?

Absolument ! La concurrence se fait à l'extérieur du groupe, sûrement pas à l'intérieur. Toutes les marques peuvent proposer l'ensemble de leurs modèles. Mais ce qui est important pour nous, c'est qu'à un moment donné tous les produits soient capables de gagner de l'argent.



Vous attendiez-vous à une telle levée de boucliers de la part des syndicats et des hommes politiques lorsque vous avez racheté Volkswagen ?

Pour moi, cela n'a pas été une surprise. Mais ceux qui étaient surpris ou contre auraient dû plutôt se demander pourquoi une telle chose a été possible. " Comment une petite entreprise comme Porsche a-t-elle pu racheter un groupe aussi gros que Volkswagen ? ", voilà la vraie question qu'il faut se poser !

Propos recueillis par Nathalie Brafman

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