Maupassant voyait dans le roman de Flaubert " un opéra en prose où la phrase chante, crie, a des fureurs et des sonorités de trompettes, des murmures de hautbois, des oscillations de violoncelle, des souplesses de violon et des finesses de flûte ". Avant lui, Berlioz écrivait en 1862 : " Je sens mon coeur s'éprendre pour cette mystérieuse fille d'Hamilcar, pour cette vierge divine, prêtresse de Tanit, qui meurt d'horreur et d'amour pour le chef torturé des mercenaires, dédaignant son beau fiancé Narr'Havas... Je vois tourbillonner ces palais colossaux, toute cette architecture de géants, aux acclamations effrayantes de ces monstrueux sauvages barbouillés de civilisation... "
Dès 1863, Moussorgski ébaucha une Salammbô dont les meilleures inspirations trouvèrent leur place dans Boris Godounov. C'est finalement l'autre fils spirituel de Berlioz, Ernest Reyer (1823-1909), qui réalisa la première adaptation lyrique créée à Bruxelles en 1890. Flaubert avait d'abord pensé à Verdi et imaginé, selon Adolphe Jullien, " de rajeunir Taanach, de la poser en rivale de Salammbô qui, elle, n'aurait pas aimé Mathô ; de faire de cette Taanach, ainsi transformée, une sorte de traîtresse de mélodrame poignardant à la fin celui qu'elle adore ".
Le livret de Camille du Locle, au contraire, suit le roman d'aussi près que possible, laissant de côté la bataille du Macar, le défilé de la hache, l'aqueduc, Moloch et tout ce qui ne se comprend ou ne se devine qu'à la lecture. Il y a quelques aménagements : ainsi le vol du voile sacré, le Zaïmph, dans le temple, a lieu sous les yeux de Salammbô qui prend d'abord le chef mercenaire Mathô, ainsi drapé, pour un Dieu. A la fin de l'ouvrage, Salammbô se poignarde avec le couteau sacrificiel dont Mathô s'empare aussitôt pour mettre fin à ses jours, le dénouement symbolique du roman étant impossible à rendre avec les moyens scéniques de l'époque.
Flaubert ayant reconnu que " le piédestal était trop grand pour la statue et qu'il aurait fallu cent pages de plus relatives à Salammbô seulement ", la place réservé à l'héroïne est plus importante dans l'opéra ; c'est l'élément choral, à dominante religieuse, qui sert de piédestal. La puissance de l'ensemble, sa couleur, sa vigueur rythmique lui ont permis de rester au répertoire jusque dans les années quarante. Pas d'orientalisme dans la partition, sauf lors de la toilette de Salammbô et seulement pour l'envelopper d'un charme mystérieux.
Gé. C.
OPÉRA