FINANCE L'économie américaine a détruit 159 000 emplois au mois de septembre
Malgré l'adoption du plan Paulson, le spectre de 1929 hante les Etats-Unis

Le président américain George W. Bush a promulgué, vendredi 3 octobre, le plan de sauvetage historique de 700 milliards de dollars (508 milliards d'euros), censé endiguer l'effondrement du système financier. Après plus d'une semaine d'intenses débats au Congrès, ce texte avait été adopté un peu plus tôt dans la journée par la Chambre des représentants à 263 voix contre 171, deux jours après l'aval du Sénat.

" Nous avons agi courageusement pour éviter que la crise à Wall Street - ne se propage à l'ensemble - du pays. Nous avons montré au monde entier que les Etats-Unis stabiliseront les marchés financiers et tiendront leur rôle de leader dans l'économie mondiale ", a commenté M. Bush, prévenant que la mesure prendrait sans doute " du temps " avant de soulager l'économie. A ses côtés, Henry Paulson, le secrétaire au Trésor, a promis d'agir vite et dit se sentir " mieux ". Ce dernier redoutait les conséquences désastreuses d'un nouvel échec. Lundi 29 septembre, son plan, jugé coûteux et inefficace par certains représentants, avait été rejeté, provoquant un plongeon historique de Wall Street.

Toutefois, l'adoption de ce projet exceptionnel, permettant au Trésor de racheter les actifs toxiques des banques à l'origine de la crise, n'a pas réussi à apaiser entièrement les craintes des marchés. Vendredi, le Dow Jones a cédé 1,5 %. Pour les investisseurs, la mesure pourrait ne pas suffire. Surtout, ils commencent à voir les effets de la paralysie du marché du crédit se diffuser dangereusement dans l'économie réelle.

Jeudi, Arnold Schwarzenegger, le gouverneur de l'Etat de Californie, à court de capitaux, a ainsi alerté qu'il pourrait réclamer une aide d'urgence de 7 milliards de dollars. Mercredi, un fonds pour les universités a été gelé, " obligeant 1 000 écoles et collèges à devoir se battre pour payer leurs professeurs ", signalait le Wall Street Journal, vendredi.

Faute de crédit les Américains dépensent moins, le marché automobile s'écroule, les entreprises réduisent leurs coûts et le chômage progresse. En septembre, l'économie américaine a détruit 159 000 emplois, un niveau inédit depuis mars 2003. Le taux de chômage atteint 6,1 % dans le pays, 7,7 % en Californie et jusqu'à 8,9 % dans le Michigan.

" SYNDROME À LA JAPONAISE "

En dépit du plan Paulson, certains craignent une répétition de la Grande Dépression de 1929. Katrina Vanden Heuvel, éditrice de l'hebdomadaire engagé à gauche The Nation, et Eric Schlosser, auteur de Fast Food Nation (Harper Perennial, 2002), remarquent, dans une tribune publiée dans le Wall Street Journal, à quel point les déclarations de Roosevelt restent, quatre-vingts ans plus tard, d'actualité : " Nous avons des banques en mauvais état. Certains banquiers se sont montrés soit incompétents soit malhonnêtes (...), ont utilisé les fonds qui leur avaient été confiés pour spéculer et faire des prêts déraisonnables ", indiquait le président américain de l'époque.

" En 1929, il y avait eu un krach boursier suite à une spéculation débridée ", atteste Paul Jorion, professeur invité à l'université de Californie. Mais selon lui, " c'est en 1933, quatre ans après 1929, que la situation est devenue critique avec un taux chômage de plus 20 % et une population en détresse ". " Le système social américain est trop peu protecteur pour éviter le pire. Lorsque vous perdez votre emploi aux Etats-Unis, vous ne gagnez que 10 % à 20 % de votre salaire pendant neuf mois et vous perdez automatiquement votre assurance-maladie ", signale M. Jorion.

" La comparaison avec la crise de 1929 est pertinente pour ses effets sur le système financier ", juge aussi Thomas Philippon, professeur à l'université de New York. Les faillites et fusions de banques ont déjà coûté des dizaines de milliers d'emplois. En outre, " le plan Paulson pourra rétablir la confiance mais n'évitera pas un gros "crédit crunch" ", soit une pénurie du crédit. La croissance américaine, soutenue artificiellement ces dernières années par le recours à l'emprunt, s'ajuste donc brutalement.

Toutefois, " les conséquences de la crise sur l'économie réelle n'auront rien à voir avec 1929 ", prédit l'économiste. La situation a changé. " A l'époque, Andrew Mellon - le secrétaire au Trésor> voulait purger le système financier, explique Pierre-André Chiappori, professeur à l'université de Columbia. Depuis, on a compris que les banques étaient vitales pour l'économie et Ben Bernanke - le président de la Réserve fédérale>, spécialiste de la crise de 1929, est particulièrement vigilant. "

Selon lui, les Etats-Unis doivent néanmoins redouter " un syndrome à la japonaise ", autrement dit un système bancaire en déconfiture pendant plus de dix ans. Les analystes de Merrill Lynch prédisent aussi plusieurs années difficiles, se référant à la mise en place du fonds de défaisance de 1989, comparable au plan Paulson. Destiné à résoudre la crise des caisses d'épargne, ce fonds a mis un an avant d'avoir des effets positifs sur la Bourse, deux sur l'économie et trois sur le marché immobilier.

Pour les experts, si le scénario de 1929 est évité, les Etats-Unis n'échapperont donc pas à une sévère récession. Et très vite, les autorités pourraient avoir à intervenir à nouveau. Ce plan " est un début ", prédit Nancy Pelosi, la présidente la Chambre des représentants aux Etats-Unis.

Claire Gatinois

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