Emmanuel Macron attend, d'ici au 30 janvier, des propositions pour faire émerger les solutions qui permettront à cette sanction de décoller
C'est à une étrange journée de travail qu'une quarantaine de procureurs, juges, conseillers de probation, avocats, membres d'associations ou de collectivités et informaticiens ont été conviés jeudi 18 janvier par Didier Paris, député La République en marche, et David Layani, président fondateur de la société de conseil en transformation numérique Onepoint. Les deux hommes ont été chargés en décembre 2017 par le premier ministre de remettre d'ici le 30 janvier des propositions pour préfigurer l'Agence nationale du travail d'intérêt général décidée par Emmanuel Macron.
Des séances de brainstorming façon start-up ont été organisées jeudi au siège de Onepoint à Paris pour identifier les blocages et faire émerger des solutions afin que cette sanction pénale, créée il y a trente-quatre ans, décolle enfin. Cette peine dont " le sens et l'utilité sociale sont incontestés ", soulignait Edouard Philippe dans la -lettre de mission, en particulier car " elle repose sur la participation active de la personne condamnée ", ne représente que 7 % des peines prononcées. Au total, 40 000 travaux d'intérêt général (TIG) ont été pris en charge par les services pénitentiaires en 2016.
Plus efficace sur toute la chaînePour M. Layani et M. Paris, il s'agit à la fois de développer l'offre de TIG et de connecter les acteurs (magistrats, services pénitentiaires d'insertion, collectivités ou entreprises accueillant des TIG, associations) entre eux afin que le dispositif soit plus efficace en travaillant sur toute la chaîne, du jugement jusqu'à l'exécution du TIG en passant par le service d'application des peines et le service d'insertion et de probation.
Car, quand cela marche, les acteurs s'en réjouissent. Jean-Marc Evrard, directeur adjoint en charge de l'insertion au sein de l'association CPCV Ile-de-France, souligne ainsi que sur les 138 personnes condamnées qu'il a accueillies en TIG en 2016, seules 6 ont abandonné. Pourtant, le travail proposé n'est pas passionnant, reconnaît-il. C'est un chantier collectif pour l'Office national des forêts destiné à nettoyer trois domaines forestiers du Val-d'Oise. Trente tonnes de déchets plastiques ou autres sont ainsi ramassées chaque année par des équipes de cinq " tigistes " encadrés par un salarié de l'association.
" On voit des jeunes un peu perdus qui n'ont rien à faire en prison ou des personnes plus âgées qui ont, par exemple, commis des délits routiers ", explique M. Evrard. Au rythme de huit heures de travail par jour (pause déjeuner comprise), non rémunérées, ils effectuent une peine qui peut totaliser entre 20 et 280 heures. " Il y a peu d'échecs car un encadrant relance systématiquement ceux qui ont du mal à se présenter à l'heure, et au final, ils ont accompli un vrai travail utile et une vraie peine. "
Marginalement financéeCette association, qui travaille avec le service pénitentiaire du Val-d'Oise depuis 2001, a vu les subventions de la région Ile-de-France s'arrêter en 2016. Avec un encadrant en moins, ce sont donc 35 % de " tigistes " en moins qui auront été accueillis en 2017. Car la mise en uvre de cette peine, prononcée et promue par la justice, n'est que marginalement financée par le ministère de la justice.
A Montpellier, Yasmina Benhassine, salariée chargée des archives de la direction régionale environnement aménagement logement (Dreal) Occitanie, a convaincu cette entité déconcentrée du ministère de l'environnement et du logement d'accueillir des TIG. Depuis 2013, près de 150 personnes condamnées y ont exécuté quelque 11 000 heures de travail d'intérêt général de type tertiaire (classement, archivage) ou plus manuel (entretien du bâtiment ou des espaces verts). -Originalité du dispositif, les femmes sont également accueillies (9 % des tigistes) et le type de travaux autorise une grande souplesse horaire.
" Certains étudiants ou des personnes qui ont un emploi viennent faire leur TIG quelques heures par semaine ", précise Mme Benhassine, désormais tutrice d'autres agents de la Dreal qui encadrent des équipes de quatre à huit " tigistes ". " Ce n'est pas toujours facile les premiers jours, mais ils prennent conscience qu'en exécutant cette peine, cela les protège de la prison ", explique-t-elle.
En échange du service reçu ainsi gratuitement, des ateliers sont organisés avec des agents volontaires de la Dreal pour aider aux -démarches administratives, à rédiger un CV, etc.
Les pistes esquissées par MM. Layani et Paris reprennent une partie des propositions formulées en septembre 2017 dans un Livre blanc sur les peines alternatives à l'incarcération établi sous l'égide de la fédération d'associations Citoyens et justice. Au ministère de la justice aussi, on réfléchit à élargir les structures susceptibles d'accueillir des TIG afin de sortir du classique service des espaces verts des mairies. Et pourquoi pas élargir à certaines missions que pourraient proposer des entreprises privées.
Mais l'objectif premier, martelé par la garde des sceaux, est de réaliser la révolution culturelle auprès des magistrats et de l'opinion pour que la prison ne soit plus considérée comme la seule peine et que le TIG, considéré comme une " alternative à… ", soit désormais prononcé et vécu comme une véritable peine.
J.-B. J.