Les deux capitales tentent de protéger les accords migratoires et de défense des tensions du Brexit
Theelephant in the room, autrement dit le sujet tabou du Brexit, aurait normalement dû le rester, jeudi 18 janvier, lors du 35e sommet franco-britannique. Emmanuel Macron, reçu en grande pompe par la première ministre britannique, Theresa May, à l'académie militaire de Sandhurst – accueil par les Coldstream Guards avec leurs bonnets noirs en poil d'ours, défilé aérien de Typhoon et de Rafale –, était venu célébrer l'" entente cordiale ", et non soulever les dossiers qui fâchent.
Les négociations sur le départ du Royaume-Uni de l'Union européenne, a dit le président français, " ne doivent jamais nous amener à revenir sur la qualité de la relation bilatérale ".
Mais l'" éléphant " a fait son apparition lorsque, en réponse à une question de la presse sur la possibilité d'inclure la City dans un futur accord commercial avec l'Union, M. Macron a répondu vivement : " J'ai une exigence : préserver le marché unique parce qu'il est au cur de l'UE. Le choix est du côté britannique, pas du mien. Si vous voulez accéder au marché unique, be my guest - “soyez les bienvenus” - , mais cela suppose de contribuer au budget et de respecter les juridictions européennes. "
Un brin provocateurLe rappel de cette réalité – qui tient de l'évidence pour les Européens, mais que les Britanniques peinent à admettre – a été immédiatement perçu comme un signe de l'arrogance française, d'autant que le be my guest, un brin provocateur, avait été prononcé en anglais pour appuyer son effet sur l'auditoire.
Mme May, debout derrière le pupitre voisin, regardait dans le vide, elle qui se fait fort d'obtenir un accord spécial pour la City. Puis elle a affirmé que le futur -accord devait, " dans l'intérêt (…) de l'UE ", couvrir " à la fois les biens et les services ".
Interprétée comme un coup de poing sur la table, la remarque de M. Macron a éclipsé dans les -médias les annonces du sommet sur la relance de la coopération militaire – trois hélicoptères britanniques vont épauler l'armée française au Mali – et surtout sur la gestion de la frontière transmanche.
Le locataire de l'Elysée a renoncé à l'idée, qu'il avait émise en mars 2016, de dénoncer les accords du Touquet de 2003, signés par Nicolas Sarkozy, qui font peser sur la France la gestion de la frontière britannique. " Ceux qui ont proposé de “déchirer” le Touquet n'ont jamais rien proposé d'autre. Avant ces accords, c'était Sangatte - le camp de la Croix-Rouge qui préfigurait la " jungle " - ", a-t-il justifié, en affirmant son refus de revenir à une situation de " désastre humanitaire ".
Confirmés, les accords du Touquet sont complétés par un nouveau " traité de Sandhurst " permettant, selon M. Macron, d'" avoir une approche plus humaine, plus efficace ", et d'approcher de l'objectif d'une " frontière parfaitement sécurisée ". Ce texte prévoit une accélération de la procédure d'examen des demandes d'entrée au Royaume-Uni pour les migrants de Calais : au lieu de six mois en moyenne, le délai sera réduit à trente jours pour les adultes et à vingt-cinq pour les mineurs. Mais, interrogée jeudi, Mme May a refusé de préciser combien de ces derniers pourraient être accueillis grâce au nouveau dispositif.
Depuis le démantèlement de la " jungle ", Londres n'a cessé de tergiverser dans ce domaine. Après avoir évoqué le nombre de 3 000 mineurs accueillis, Downing Street a donné son accord pour 480 admissions, mais n'en a en réalité accepté, jusqu'à présent, que 220. Autant dire que les bénéfices de la nouvelle procédure accélérée, principale annonce du sommet de Sandhurst, restent aléatoires.
" Capitulation humiliante "Quant à l'engagement britannique de 50,5 millions d'euros pour de nouvelles clôtures et équipements de vidéosurveillance, destinés à empêcher des intrusions dans le tunnel, elle ne fait que prolonger les investissements de même nature répétés depuis des années – 140 millions d'euros versés par Londres entre 2015 et 2017 –, avec les résultats que l'on sait.
Mme May a ainsi écarté la menace d'une remise à plat des accords du Touquet, brandie pendant la campagne présidentielle française, en contrepartie de quelques concessions. Certains tabloïds, que la promesse des 50,5 millions d'euros fait hurler – la " une " du Daily Mail dénonçait, jeudi, " le coup monté " de la France –, dénoncent le prix politique pour Mme May des quelques faveurs faites à Paris à l'occasion du sommet.
" Pourquoi payons-nous 50 millions à Macron tout en acceptant plus de migrants ? ", a demandé l'ex-dirigeant d'extrême droite Nigel Farage, en soulignant " la capitulation humiliante de Theresa May ". " Il s'agit d'investir dans la sécurité de notre frontière ", a justifié l'intéressée, -confortant ainsi l'idée que la frontière britannique passe désormais par Calais.
Philippe Bernard