L‘ex-footballeur a créé un parcours pédagogique dans le musée parisien consacré au peintre
On peut être footballeur et romantique, sportif et amateur de peinture. La preuve en est donnée par Lilian Thuram, invité d'une carte blanche au Musée Delacroix. Le coquet musée, niché place de Furstenberg, dans l'ancien atelier du peintre du XIXe siècle, lui a confié le soin d'accrocher les collections de l'institution à son gré, répondant favorablement à une proposition de la fondation du footballeur, créée en 2008 et -consacrée à l'éducation contre le racisme. Pour le champion du monde 1998, ce n'est pas un coup d'essai : en 2012, il a été co-commissaire de l'exposition " Exhibitions, l'invention du sauvage ", au Musée du quai Branly.
En proposant une évocation libre de l'orientalisme, à partir du voyage d'Eugène Delacroix au Maroc, Thuram n'a qu'un but : tirer des fils avec la réalité contemporaine, et rappeler aux jeunes invités à faire la visite en sa compagnie que " l'image n'est pas la réalité, mais le produit du point de vue d'un homme, résume-t-il. Je veux leur montrer que Delacroix a toujours produit une représentation très respectueuse des personnes de couleur noire, tout en soulignant que le discours de l'époque était beaucoup plus négatif ".
Lui, se souvient encore des visites de musées qu'il faisait dans le cadre scolaire : " Les tableaux que je regardais ne me disaient pas grand-chose, jusqu'à ce qu'un prof de français m'initie, en m'expliquant un tableau de Soutine et le contexte de travail de l'artiste. J'ai alors pris conscience que les uvres racontaient une histoire, et qu'il était essentiel de les remettre dans leur contexte de production. "
Evoquer le scandale du maquillage blackface porté par le footballeur Antoine Griezmann en le rapprochant de la vogue pour les déguisements orientaux lors des guerres coloniales ; comparer la posture sensuelle des odalisques avec les publicités sexistes ; examiner les schémas de domination tels qu'ils se mettent en scène dans La Mort de Sardanapale et dans notre quotidien… Voilà quelques-uns des rapprochements qu'il envisage, à travers un parcours ultra-péda-gogique destiné à sensibiliser les plus jeunes à la complexité de l'image. Pour la directrice de l'institution, Dominique de Font-Réaulx, ces invitations singulières sont avant tout destinées à " montrer que nous sommes tout sauf un lieu retranché, à l'abri du débat démocratique. Les uvres d'art sont vivantes, et ont partie liée à notre monde actuel ". Et le footballeur de conclure : " Si les enfants sortent du musée convaincus qu'eux aussi ont des choses à raconter, nous aurons réussi. "
Emmanuelle Lequeux