Après le retrait de LR du maire de Bordeaux, les militants girondins n'envisagent toutefois pas de quitter le parti
La fédération LR de Gironde a le blues. Alain Juppé a fait un pas de plus dans son retrait politique et ses troupes se demandent ce qu'elles vont devenir. Après son annonce qu'il " prendrait du recul avec Les Républicains " et qu'il ne paierait pas ses cotisations, c'est en effet le deuxième signe d'un futur départ. Il s'était déjà retiré de la présidence de la fédération en octobre 2017. Trois jours sont passés depuis sa déclaration, et tous – anciens adhérents du RPR et de l'UMP, jeunes militants comme petits cadres du parti – sont sous le choc. " Je ressens un grand vide, souffle Sandrine Jovené, assistante dentaire militante depuis 1981. On était déjà isolés, seuls dans ce parti, ça va être difficile. "
A Bordeaux, on est juppéiste avant d'être Républicain. Depuis son arrivée en 1995 à l'hôtel de ville, l'ancien premier ministre règne sans interruption sur la quatrième plus grosse fédération du mouvement. C'est peu de dire qu'il est incontesté sur les bords de la Garonne. Outre son bilan de redynamisation de cette ville bourgeoise, il bénéficie de l'image du grand sage et la droite bordelaise le suit depuis vingt ans sans faiblir. Lors de la primaire interne, c'est ici que le candidat de la droite modérée a fait ses meilleurs scores.
Pourtant, l'année terrible de la présidentielle, avec les départs pour LRM ou les entrées de plusieurs ténors au gouvernement d'Edouard Philippe, puis l'élection de Laurent Wauquiez, en a découragé plus d'un. Les effectifs de la fédération ont fondu, passant de 4 847 adhérents en 2016 à 3 354 un an plus tard, soit moitié moins qu'en 2012… Dans ce marasme, le retrait de leur héros a achevé de déprimer ses fidèles. Même chez les jeunes, que l'ancien premier ministre avait su regrouper autour de lui, on sent un vrai désappointement : " Il a toujours été libre, mais je regrette son recul ", assure Alexandre Agostini, étudiant en commerce. Ils sont nombreux à euphémiser ainsi le mot " départ ". Comme s'ils tentaient de conjurer l'inévitable.
Pourtant, aucun de ceux que nous avons rencontrés ne suivra, pour l'instant, son champion. Légitimistes ou n'osant pas sauter dans le vide, ils préfèrent rester dans leur famille politique. Et tenter de se battre pour incarner cette droite modérée et prœuropéenne, jusqu'alors intégrée au mouvement gaulliste. Il y a d'abord ceux qui ne se voient pas ailleurs, souvent les plus jeunes qui ont commencé à militer avec lui. " Si on s'en va tous, cela ne va pas faire évoluer la ligne. Juppé a toujours été à droite, avec des positions tranchées sur les questions régaliennes. Ça doit être possible de continuer à défendre notre sensibilité et de trouver un compromis avec Laurent ", veut croire Hortense Chartier, jeune conseillère municipale à Bruges. Alexandre le pense aussi : " On est dans une famille politique où on partage un ensemble d'idées. Face à Wauquiez, on a Valérie Pécresse qui peut retenir les centristes au sein de LR. "
" Lignes rouges "Le nom de la présidente d'Ile-de-France revient souvent comme une bouée de sauvetage dans ce parti qu'ils peinent à reconnaître sous les accents identitaires et eurosceptiques de leur nouveau président. Ils sont plusieurs à avoir adhéré à son mouvement, Libres. Mathieu Coldefy, agent immobilier de 40 ans, est de ceux-là : " Je reste persuadé que ma voix est mieux entendue à l'intérieur et une femme jeune, dynamique, peut être une bonne candidate pour la prochaine présidentielle. " Même conviction chez Jean-François Crestia, qui travaille dans un cabinet de courtage en assurances : " C'est pas fichu, on peut peser encore un peu. Peu de nos électeurs bordelais se reconnaissent dans Sens commun ou Wauquiez ", explique ce quadragénaire catholique militant.
Ils sont aussi plusieurs à vouloir préparer les élections internes du mouvement. A l'automne, les directions locales seront renouvelées. Pas question de laisser les proches du président de la région Auvergne imposer leurs candidats. " Il faudra surveiller les équilibres internes pour continuer à faire vivre la droite modérée ", souligne Louis de Larroche, étudiant en droit. C'est aux yeux de ce jeune homme une question de survie : " LR est inaudible avec un président qui nous ramène au RPR et à la droite traditionaliste ", assure-t-il. " Faut arrêter avec les discours sur l'immigration ou le terrorisme et savoir parler écologie ou jeunesse ", renchérit Thomas Dovichi, fonctionnaire territorial de 25 ans.
Les jeunes troupes sont particulièrement sévères mais elles résument parfaitement le sentiment général. Il y a des " lignes rouges " à ne pas franchir : pas de rapprochement avec le FN, pas de ligne eurosceptique aux élections européennes et pas d'instances monolithiques. Pour l'instant, Laurent Wauquiez n'a pas donné les " gages d'ouverture " réclamés, disent-ils. Jean-Jacques Jovené, retraité, espère encore : " Il faut que Wauquiez rassemble. " Avant d'avertir : " S'il n'ouvre pas les yeux, beaucoup vont partir et LR risque de ne plus représenter grand-chose. Et il y aura un nouveau parti à droite. "
Sylvia Zappi