Pour le professeur Jean-Philippe Wolf, expliquer à l'enfant comment il a été conçu est plus important que lui donner accès au nom de son père biologique
Arthur Kermalvezen a retrouvé, à la suite d'un test génétique, son géniteur qu'il cherchait depuis si longtemps, et l'a fait savoir de manière spectaculaire peu avant le lancement des Etats généraux de la bioéthique, le jeudi 18 janvier. Nous lui souhaitons d'être heureux de l'avoir retrouvé et surtout que cela dure. Car s'il était si simple de faire le bonheur de tout le monde, personne ne s'y opposerait. Mais il est difficile de croire que là est la solution du problème de l'anonymat des donneurs.
Les créateurs du Centre d'étude et de conservation des ufs et du sperme humains (Cecos) ont cru que l'anonymat était la solution définitive pour préserver le donneur qui ne souhaiterait pas rencontrer les enfants issus de son don ; pour préserver les parents, dont rien ne dit qu'ils seraient heureux de cette irruption dans leur vie d'un homme qu'ils avaient choisi de garder dans l'anonymat et loin de leur univers familier ; pour préserver l'enfant d'un univers trop multipolaire et incertain.
Car l'anonymat n'a pas été fait pour nuire aux enfants ou à leurs parents. Il l'avait été précisément pour garantir la sérénité dans leur vie familiale, ainsi que celle du donneur.
Révélations traumatisantesEt tout s'est très bien passé jusqu'à ce que les enfants grandissent, commencent à poser des questions ou apprennent à la suite de révélations traumatisantes qu'ils étaient issus d'un sperme de donneur. Ces circonstances ont été bien rapportées par les intéressés. Il n'est pas nécessaire de les raconter. Mais on imagine le choc d'une telle révélation pour un jeune adulte quand on lui apprend qu'il y a un secret terrible dans sa propre histoire familiale, qu'il pensait classique.
Garder l'anonymat du donneur ne suffit donc pas, contrairement à ce qui avait été cru pendant trop longtemps. Il faut l'assortir d'une révélation aussi précoce que possible de son mode de conception à l'enfant. Dès petit, il faut lui parler de la " graine que les docteurs ont donnée ". Bien sûr l'enfant comprendra dans un premier temps ce qu'il pourra. Chacun sait que lorsqu'il grandira, l'histoire prendra des significations différentes pour lui. Mais au moins l'aura-t-il -toujours su et ne sera plus confronté à ces révélations brutales qui sont le ferment du malaise qui, souvent, pousse ces enfants à imaginer que rencontrer le géniteur réglera tous leurs problèmes. Or, il n'en est rien.
Ce qu'il faut donc ajouter à cette révélation précoce du mode de conception, c'est dire à l'enfant que le donneur étant anonyme, il ne sera jamais possible de le rencontrer. Voilà ce qui aurait épargné à Arthur la longue attente de ses 18 ans et la déception qu'il a dû avoir quand finalement on lui a dit qu'il ne pourrait pas rencontrer celui qu'il s'était promis de voir à sa majorité, ajoutant ainsi une autre déception à sa longue attente.
Il est aussi intéressant de voir ce qui s'est passé dans les pays où l'anonymat a été levé. Les sirènes de la nouvelle parentalité veulent nous faire croire que là-bas c'est le paradis de la nouvelle filiation. Des sirènes d'autant plus péremptoires que leur expérience réelle est restreinte.
Oui, en Angleterre et en Suède, il est possible de retrouver son géniteur à 18 ans. En Suède, cela a eu trois conséquences. Les donneurs habituels, -pères de famille, se sont abstenus de donner leur sperme, ne voulant pas voir débouler dans leur existence des enfants qu'ils n'auraient pas désirés. Cela n'était pas très grave car d'autres donneurs sont apparus. Des jeunes essentiellement épris d'altruisme.
La deuxième conséquence est une fuite massive des parents en -demande de don de sperme vers le Danemark voisin pour contourner l'obligation suédoise de s'inscrire sur le registre des personnes ayant eu -recours au don de gamètes.
La troisième est que bon nombre de parents s'abstiennent d'annoncer à leur enfant son mode de conception. L'enfant n'a donc pas l'idée d'aller consulter le registre en question à ses 18 ans. Cette décision, qui semble remplir tous les désirs des contempteurs de l'anonymat, se retourne en fait contre les enfants, en favorisant le secret dans les familles.
Le second argument en faveur de la fin de l'anonymat est qu'aux Etats-Unis il est possible d'acheter le sperme d'un homme connu, et qu'un donneur rassemble dans des grandes réunions dont les Américains ont le secret, les 150 enfants issus de son propre sperme Mais il y a aussi, en Amérique, des parents qui ne supportent pas de voir arriver dans leur vie les 150 demi-frères et demi-surs de leur propre rejeton, ni de voir débouler le donneur réjoui des gains qu'il aura pu faire en vendant son sperme.
Une enquête réalisée auprès des parents qui demandent un don de gamète en France auprès du Cecos montre qu'ils sont massivement attachés à cet anonymat et qu'ils ne recourraient pas au don si celui-ci ne leur était pas garanti. C'est ce que les parents pensent… jusqu'au jour où leurs enfants décident de faire autrement et de ramener en pleine lumière un homme qu'ils voulaient ignorer.
Ce n'est pas tout. Un jour prochain, la science créera des gamètes artificiels en empêchant une cellule de dupliquer ses chromosomes lors de sa division. On aura alors des spermatozoïdes artificiels. Adieu le don, l'anonymat et la quête insensée de son géniteur. Pour les ovocytes artificiels, il faudra attendre un peu plus.
Risque de consanguinité ?Quant aux deux questions qui restent en suspens concernant la géné-alogie des enfants du don, le Cecos garde tout l'historique médical du donneur et de sa famille. Il est à la disposition des enfants de manière anonyme. Il y a là une distorsion évidente dans les règles de l'équité car les enfants de donneurs sont à même de connaître mieux leur généalogie génétique que n'importe qui d'autre.
Quant au risque de consanguinité - sur les dix personnes de l'association PMAnonyme, dont fait partie Arthur Kermalvezen, qui ont effectué le test, quatre sont nées du même donneur - , que les 70 000 enfants nés du don en France se rassurent. Il y a aujourd'hui 3 % d'enfants qui ne sont pas de leur père – du moins pas de celui qu'ils ou elles croient. Comme nous sommes 67 millions, cela fait plus de 2 millions de personnes qui ignorent qui est leur père, et ne s'en portent pas forcément plus mal.
Et encore : avant la contraception et l'IVG libre et gratuite, les généticiens nous disent que c'était 10 % de la population qui était dans ce cas !
Jean-Philippe Wolf