Prenons acte de la fin de l'anonymat du don de gamètes

Des tests génétiques permettent aux personnes nées de dons de gamètes d'identifier les donneurs. Ne laissons pas les choses se faire sans encadrement, estiment une psychanalyste et un biologiste

Nombre de jeunes adultes conçus par dons de gamètes se précipitent depuis quelques mois sur les tests génétiques leur permettant éventuellement de retrouver le donneur à l'origine de leur conception. A défaut d'une rétroactivité de droit, la conséquence immédiate de cette démarche est une rétroactivité de fait, qui remet en cause le prétendu " principe éthique " de l'inaccessibilité aux origines…

En avril  2016, le journal scientifique -Human Reproduction publiait un article prédisant la fin de l'anonymat du don de gamètespar le biais des tests ADN. La Fédération française des Centres d'étude et de conservation des œufs et du sperme humains, reprenant cette information sur son site Internet, admettait que " les donneurs doivent être informés que l'anonymat ne peut être garanti et que leur identité peut être retrouvée si leur ADN ou celui d'un membre de leur famille a été ajouté à une banque de données ". Dans Le Monde du 6  juillet 2017, nous soulignions que " l'anonymat des donneurs ne saurait être garanti. Les tests génétiques ont en effet déjà permis à plusieurs personnes de -découvrir l'identité de leur donneur. "

La découverte de l'identité d'un donneur risque d'engendrer des situations potentiellement explosives tant pour les familles des donneurs que pour celles de nombre d'adultes conçus par don, de l'ordre de 70 000 en France. Mesure-t-on l'impact de ces situations nouvelles où des hommes et des femmes – la plupart du temps parents eux-mêmes – qui ont fait ces dons avec la garantie que leur anonymat serait à tout jamais protégé par la loi se verraient retrouvés par des adultes issus de ces dons ? L'impact psychologique pour ces hommes, ces femmes et leurs familles respectives n'est pas à négliger.

Afin d'organiser un accès aux origines structuré et bienveillant pour les adultes qui ont identifié et souhaitent rencontrer leur donneur, loin des rencontres " sauvages " qui seprofilent actuellement, nous proposons la mise en place rapide d'un -organisme chargé de proposer une médiation entre ces jeunes gens et leurs possibles donneurs. Cela ne doit, en aucun cas, nous dispenser d'ouvrir une fois de plus le débat sur l'accès aux origines pour les personnes nées d'un don de gamètes, qui aura lieu lors des assises de bioéthique et au moment de la révision de la loi.

Cet organisme pourrait se construire sur le modèle du Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (Cnaop). Créé à l'initiative de Mme Ségolène Royal, alors ministre de la famille, et voté à l'unanimité par les députés en première lecture, le Cnaop a pour objectif de faciliter l'accès aux origines personnelles aux personnes nées sous X et aux enfants adoptés en recherche d'informations sur leurs parents de naissance. Cette loi précise que l'accès d'une personne à ses origines est sans effet sur l'état civil et la filiation. Et ne fait naître ni droit ni obligation au profit ou à la charge de qui que ce soit. Les -demandes sont traitées par l'intermédiaire d'un psychologue ou d'un travailleur social formé à la question des origines. Celui-ci répond aux sollicitations, puis reçoit séparément les uns et les autres, organise une rencontre entre les deux parties. Son rôle s'arrête là. A chacun des protagonistes de décider ce qu'il veut faire par la suite de cette rencontre.

Notre proposition s'inspire aussi du modèle britannique. En effet, la Grande-Bretagne, après avoir modifié sa loi rendant l'accès aux origines possible pour les personnes conçues par don, a mis en place une structure spécifique, au sein de la Human Fertilisation and Embryology Authority (HFEA), qui gère les demandes formulées par les personnes nées d'un don, mais aussi celles de donneurs de gamètes qui se questionnent sur le devenir de leur don. Elle permet aussi aux hommes et femmes qui ont fait des dons avant la modification de la loi, donc sans possibilité d'être identifié, de revenir de façon volontaire sur cet aspect et d'autoriser que soient fournies des infor-mations identifiantes aux personnes conçues grâce à leurs dons.

Pédagogie collective

Un Cnaop ad hoc pourrait assurer des fonctions similaires en France, d'autant plus facilement que nombre des parents de ces jeunes adultes fournissent désormais à leurs enfants le maximum d'informations sur les circonstances de leur conception, le secret n'étant plus un dogme comme dans les années 1980.

Ces rencontres n'auront évidemment pas lieu dans un délai rapide. Il faudra le temps d'une sensibilisation au sujet chez les protagonistes concernés (tant pour les donneurs de gamètes que pour les adultes issus de ces dons). Et une pédagogie collective et individuelle sera évidemment indispensable pour accompagner le changement des mentalités sur un -sujet ô combien sensible ! Mais se souvient-on que, dans les années 1960-1970, l'adoption était un domaine tabou flanqué d'un discours idéologique monolithique selon lequel l'adoption était une seconde naissance, la question des origines sans intérêt ni importance, et les parents de naissance quantité négligeable ?

Notons que les revendications de -l'association PMAnonyme montrent clairement que les personnes conçues par don de gamète anonymene sont nullement à la recherche d'une filiation, pas plus que d'un père ou d'une mère de substitution, ni même d'un parent génétique ou biologique. Elles militent pour la reconnaissance de leur droit à l'accès à leur origine. Mais elles sont aussi – et peut-être surtout – en révolte devant l'abus de pouvoir fait à leur endroit par l'Etat français et le corps médical qui détiennent un dossier sur eux – y compris médical – qui leur est à tout jamais interdit d'accès. A une époque de transparence où les revendications des patients à avoir accès à leurs dossiers médicaux ne font plus débat puisqu'elles sont rentrées dans les mœurs de notre société, cette situation nous paraît intenable et injuste.

Ce futur Cnaop constituerait, en somme, une instance médiatrice qui préparerait les esprits à une levée de l'anonymat des dons de gamètes – souhaitable à l'avenir mais complexe à mettre en place tant les résistances sont fortes. Et permettrait à ces hommes et femmes d'éviter de n'avoir d'autre recours que de passer par des tests génétiques pour en savoir plus sur une partie de leur hérédité.

Par GENEVIÈVE DELAISI DE PARSEVAL et STÉPHANE VIVILLE

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