Les seniors et les parents de jeunes enfants doivent être, comme les moins qualifiés et les chômeurs, les cibles prioritaires d'une réforme qui cherche à élargir l'accès à la formation tout au long de la vie
Le 15 novembre 2017, le gouvernement a transmis un document d'orientation dont se sont saisis les partenaires sociaux, avec pour objectif la rédaction d'un accord national interprofessionnel d'ici au 16 février. L'agenda de la négociation est donc serré, tout autant que le cadrage donné par Muriel Pénicaud, la ministre du travail. Les prin-cipaux axes de discussion concernent la généralisation et l'extension du compte personnel formation (CPF) – qui devrait conduire notamment à la suppression du congé individuel de formation (CIF) ; une accentuation de l'effort de formation à destination des chômeurs et des salariés les moins qualifiés, avec des modalités d'accès facilitées, plus particulièrement au sein des TPE et des PME ; une refonte du système de formation en alternance (apprentissage et professionnalisation) ; et, enfin, le renforcement de l'évaluation de la qualité des formations dispensées.
En France, le financement de la formation continue s'est historiquement appuyé sur l'obligation faite aux entreprises de " former ou payer ". Celles-ci doivent organiser la for-mation de leurs salariés ou s'acquitter d'une taxe qui, sur la base d'un principe de mutualisation, permet de -contribuer au financement de formations dispensées à d'autres travailleurs, sans, donc, qu'elles puissent en attendre un bénéfice propre.
Ce système a généré d'importantes inégalités d'accès aux formations. Celles-ci bénéficient plus souvent aux salariés les plus diplômés et les plus qualifiés. L'individualisation progressive des droits à la formation, avec la création du droit individuel à la formation (DIF) en 2003, puis du CPF en 2014, a certes permis de construire un cadre qui remet le travailleur au cur du système. Il demeure cependant un certain nombre de freins directs et objectifs à l'accès à la formation, qui em-pêchent ces droits de fonctionner -véritablement. La généralisation et l'extension du CPF apparaissent dès lors comme une bonne chose, à condition, toutefois, que les partenaires sociaux et le gouvernement se saisissent d'au moins deux propositions simples, qui rendraient ces droits à la formation tout au long de la vie réellement plus inclusifs.
Des carrières plus longuesLa première proposition s'appuie sur le constat que les difficultés d'accès à la formation ne concernent pas seu-lement les moins qualifiés et les chômeurs, mais sont également liées à l'avancée en âge du salarié (ou du demandeur d'emploi). Curieusement, cette dimension est complètement absente de la feuille de route fixée par le gouvernement ! Il y a pourtant un désintérêt avéré des entreprises à former au-delà de 50 ans, qui se traduit, de fait, par une baisse continue de l'accès à la formation dès 40 ans (" Maintenir la formation continue pour les seniors : pourquoi, comment, combien ? ", Arnaud Chéron, Pierre Courtioux et Vincent Lignon,Position Paper, Edhec Business School, mai 2015).
Or, il y aurait un véritable gain social à voir les salariés seniors en bénéficier. Cela relève en premier lieu d'un principe de précaution vis-à-vis des risques sociaux. Lorsqu'ils sont exposés à des licenciements, leurs perspectives de reprise d'emploi sont inférieures à celles des autres travailleurs, avec un taux de sortie du chômage en moyenne deux fois plus faible au-delà de 50 ans. De ce point de vue, le gain social lié à la formation des seniors est relativement plus important, et se trouve par ailleurs renforcé par l'allongement de la durée des carrières pour les nouvelles générations, qui découle des réformes du système de retraites. Dans son document d'orientation, le gouvernement invite à " imaginer des modes d'incitation financière permettant le développement des compétences ". En voici donc un premier : dans le cadre du CPF, il serait opportun d'introduire des bonifications de l'abondement du nombre d'heures de formation liées à l'âge – dès 40 ans –, et plus encore après 50 ans.
La seconde proposition s'appuie sur le constat que, notamment en début de carrière, les difficultés de conci-liation entre vie professionnelle et vie familiale constituent également un frein objectif à l'accès à la formation continue (" La formation continue : une affaire familiale ", Vincent Lignon, Travail et Emploi, n° 143, 2015). Ce frein, qui n'est pas du même ordre pour les femmes et les hommes, nécessite un ciblage spécifique sur deux types de public.
Tout d'abord, les parents isolés (plus fréquemment des femmes) ont des contraintes d'organisation beaucoup plus fortes concernant le mode de prise en charge des enfants. Ces -contraintes sont souvent couplées à des contraintes financières plus marquées : on sait notamment que les risques de pauvreté sont environ trois fois plus élevés pour ce type de ménage que pour les couples. Ensuite, les parents d'enfants de moins de 6 ans n'ayant pas de diplôme du supérieur méritent une attention particulière. En effet, si l'ensemble des parents ayant des très jeunes enfants présentent des difficultés d'accès à la formation, ces difficultés perdurent après l'entrée en maternelle, principalement pour les non-diplômés du supérieur.
Lever les contraintes objectives d'accès à la formation liées aux configurations familiales nécessiterait pour ces publics cibles de compléter les droits à formation déjà inclus dans le CPF par des dispositifs de type chèque emploi service universel (CEVU). Ceci permettrait d'aider à la garde de jeunes enfants pendant que les parents suivent une formation. On le voit, il y a matière à rendre plus efficace et inclusif " l'outil CPF ", en prenant en considération les problématiques spécifiques survenant à différents stades de la carrière. Pour passer à la vitesse supérieure, il faut lever les freins objectifs à la formation tout au long de la vie !
Par Arnaud Chéron et Pierre Courtioux