Trois Rolls pour le prix d'une

La plus belle marque du monde, devenue un nom commun pour désigner le summum du luxe et de la qualité, n'est pas allemande mais britannique. Depuis 1973, les géniales inventions de Henry Royce et Charles Rolls (démarrées en  1906) se déclinent dans deux entreprises aux destinées bien différentes. Les automobiles n'ont pas survécu à l'épreuve de la solitude et ont été récupérées, sacrilège, par l'allemand BMW en  1998. Il pourrait bientôt y avoir trois Rolls-Royce dans le paysage industriel. Le fabricant de moteurs d'avion envisage en effet de se séparer de sa division marine, qui motorise des bateaux civils et militaires et s'est développée dans le parapétrolier. En dévoilant ce projet, mercredi 17  janvier, le PDG Warren East s'est empressé cependant de préciser que les activités militaires, qui comprennent les moteurs nucléaires des sous-marins et des porte-avions, ne seraient bien sûr pas concernées par ce sévère recentrage.

Ce mouvement intervient la même semaine que l'annonce choc du nouveau patron de General Electric, John Flannery, reconnaissant étudier l'éclatement du plus célèbre conglomérat américain et principal concurrent mondial de Rolls-Royce dans les moteurs d'avion. La raison invoquée en est la même. L'activité aéronautique, en plein boom, est pénalisée par des activités de moins en moins rentables, notamment dans l'énergie. Ce qui autrefois était considéré comme une sécurité fait figure maintenant de boulet pour les résultats et la valeur boursière de l'entreprise.

Cette préoccupation financière n'est pas nouvelle, mais elle connaît depuis un an un regain puissant. La combinaison inédite d'une bonne conjoncture économique et de taux d'intérêt au plancher a précipité nombre d'investisseurs sur les actions, et les a conduits à s'intéresser de plus près aux performances des entreprises cotées. D'où le retour des investisseurs activistes, toujours prompts à sortir du bois dès les premiers rayons de soleil.

Timing parfait

L'enthousiasme du patron de General Electric pour une vente de ses actifs répond ainsi aux souhaits et à la pression de Trian Investment, le fonds du milliardaire Nelson Peltz, qui, à 75 ans, n'a rien perdu de son appétit. Chez Rolls-Royce, c'est ValueAct Management qui est à la manœuvre. Cette société de San Francisco, montée par un ancien directeur financier, Bradley Singer, est devenue en moins d'un an le premier actionnaire du grand industriel britannique, qui, jusqu'en  1987, était propriété de l'Etat. Mais M. Singer n'est pas un loup malpoli. Avec 12,5  % du capital, il veut influencer l'entreprise sur le long terme. Patient, mais convaincu qu'il faut recentrer le groupe sur l'aéronautique, il a d'abord demandé un siège au conseil d'administration, et l'a obtenu en mars  2016 sur la promesse écrite qu'il ne réclamerait pas de scission de l'entreprise, du moins durant deux ans. La promesse s'achève en mai  2018. Le timing est donc parfait.

Philippe Escande

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