L'Europe réduit déjà sa liste noire des paradis fiscaux

Mardi 23 janvier, l'Union européenne devrait quasiment diviser par deux le nombre de pays pointés du doigt

Déjà sérieusement remise en question lors de sa publication en décembre  2017, la liste européenne des paradis fiscaux devrait de nouveau concentrer les critiques dans les jours qui viennent. Mardi 23  janvier, les 28 ministres des finances de l'Union européenne (UE), réunis à Bruxelles, devraient décider de la diviser quasiment par deux, en biffant les noms de huit pays, sur un total de dix-sept. Sans discussion : il s'agirait d'une simple formalité, précisait un diplomate, jeudi 18  janvier, depuis Bruxelles.

Le Panama, la Corée du Sud, les Emirats arabes unis, la Tunisie, la Mongolie, Macao, Grenade et la Barbade sont ainsi sur le point de sortir de cette liste stigmatisante. Ces pays y figuraient pourtant pour n'avoir pas pris à temps (avant fin novembre  2017) les engagements exigés par le groupe " Code de conduite ". Cette émanation du Conseil européen, qui a effectué le travail préparatoire à l'établissement de la liste, exigeait des promesses, précises, d'en finir avec des pratiques ou des législations beaucoup trop accommodantes (taux zéro sur le profit des sociétés, par exemple).

Les ONG et les députés Verts européens avaient salué la publication de cette liste – une première dans l'Union – mais néanmoins vivement réagi en décembre  2017 : ils contestaient la méthode de travail du " Code de conduite ", ce groupe d'experts des différents Etats européens travaillant dans la plus grande opacité. Ils soulignaient aussi l'absence, dans la liste finale, de membres de l'UE, alors qu'il est de notoriété publique que certains pratiquent des politiques fiscales particulièrement accommodantes (Luxembourg, Irlande, Malte…).

Les huit pays sortis de la liste noire devraient se retrouver sur une " liste grise " déjà forte de 47 autres juridictions, dont les engagements n'avaient pas été jugés suffisants par le " Code de conduite " en décembre  2017. Certains ministres avaient pourtant contesté, à l'époque, que la liste noire puisse être aussi rapidement " révisée ", estimant que les pays retardataires ne devaient bénéficier d'aucune forme de complaisance. Ils n'ont visiblement pas été suivis par leurs pairs.

Demande de transparence

Pierre Moscovici, le commissaire aux affaires économiques et financières, fiscalité et douanes, qui était à l'origine du processus de la liste noire en  2015, a estimé, jeudi, que la réduction du nombre de pays inscrits était un peu rapide. Certes, " la liste n'est pas une fin en soi ", a estimé le Français, mais il demande aux ministres des finances " de rendre publics les engagements pris par les pays " sortis de la liste. " Si on demande la transparence aux autres, on doit l'être nous-même ", a-t-il ajouté, réclamant avec insistance que ces engagements soient transparents.

Une liste d'engagements, pour la " liste grise ", avait bien été publiée en décembre, mais jugée trop imprécise par les ONG. La Commission serait prête à mettre en ligne elle-même les informations manquantes si les pays membres continuent à rechigner.Le commissaire a par ailleurs suggéré qu'il faudrait aussi faire la chasse aux " trous noirs fiscaux " en Europe, " où subsistent des législations excessivement favorables ".

Qu'adviendra-t-il, par ailleurs, des huit autres pays touchés par les ouragans de la fin de l'été 2017 (Bahamas, îles Vierges américaines…), à qui le " Code de conduite " avait donné quelques semaines de plus (jusqu'au 14  février) pour s'engager à changer leurs pratiques ? Les ministres européens choisiront-ils de les placer dans la liste noire ou dans la grise ? Rendront-ils publics leurs motivations et les engagements de ces juridictions ?

M.  Moscovici met lui-même le doigt sur le problème : " Le caractère intergouvernemental et forcément un peu diplomatique de la liste est une faiblesse… " Cette dernière aurait gagné en crédibilité sans les soupçons de petits arrangements entreEtats membres : pourquoi le Qatar a-t-il été sorti au dernier moment du projet de liste noire, au tout début de décembre  2017 ? Tout comme le Maroc et le Cap-Vert ? " Nous ne pouvons accepter que les Etats membres négocient en catimini des exemptions pour les paradis fiscaux qui ont leurs faveurs ", a réagi, jeudi, l'eurodéputée Eva Joly (EELV).

La réduction de la liste " n'est pas une évolution négative, cela veut dire que la pression sur les juridictions fonctionnent. Evidemment, il faudra s'assurer que les engagements sont tenus ", précise-t-on à Bercy. La France fait partie des pays qui, à Bruxelles, avec l'Allemagne, défendent avec le plus de constance la chasse aux pratiques fiscales agressives.

Mais surtout : quid des sanctions que la Commission aurait souhaité adjoindre à la liste noire ? L'institution communautaire a, à plusieurs reprises, proposé que l'argent de l'UE ne puisse pas transiter par les paradis fiscaux de la liste noire. Mais les ministres des finances avaient refusé de se prononcer fin 2017. Et, pour l'instant, ce sujet crucial n'est même pas à l'ordre du jour de leur réunion de mardi.

Cécile Ducourtieux

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