Le complexe MIF68 , dans le nord de la ville, veut réunir une centaine de revendeurs textiles
Quatre longues barres de boutiques aménagées dans des conteneurs vitrés, dont l'alignement sombre est rehaussé de porte-à-faux aux couleurs vives. Une vue exceptionnelle sur la rade de Marseille. Deux larges allées où s'activent engins de chantier et camions de livraison. Et, tout autour, des espaces de parking au goudron encore frais. Simple et fonctionnel, le MIF68, centre de vente de textile en gros, prépare son ouverture officielle, le 19 février.
Le site, installé sur un ancien terrain industriel – cinq hectares au pied du centre commercial Grand Littoral dans le 16e arrondissement – tout au nord de la ville, est destiné à accueillir des grossistes, majoritairement chinois. Il a poussé en six mois et compte devenir un nouvel acteur majeur du secteur sur le pourtour méditerranéen. " 85 % de nos 95 boutiques sont déjà occupées, se félicite -Xavier Giocanti, fondateur de la société de promotion immobilière Résiliance, propriétaire du site et porteur du projet. Nous attendons le remplissage total de nos 16 500 mètres carrés - m2 - de surface d'ici à fin 2018. "
Cet entrepreneur, compagnon de la directrice générale du Fonds monétaire international, Christine Lagarde, s'est fait une spécialité des projets dans les zones franches urbaines de Marseille. L'idée de ce centre du textile au nom incongru – MIF pour Marseille International Fashion, 68 " parce que c'est un chiffre porte-bonheur en Asie " – lui a été apportée par un groupe de grossistes chinois installés en France depuis plusieurs années. Des professionnels inspirés par la réussite du CIFA d'Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), marché de gros qui a accueilli, dès 2006, les professionnels du Sentier parisien. " Nous avons besoin d'unespace adapté à notre activité que nous ne pouvons plus exercer normalement en centre-ville, explique Dingguo Chen, membre de l'Association des commerçants chinois de Marseille et chef de file du MIF68. La municipalité nous a mis en contact avec Résiliance. "
Une position logistique idéaleL'opérateur immobilier cherchait, lui, un devenir à des terrains achetés en 2009 dans les quartiers nord, dont le sous-sol, instable, limitait l'exploitation. Avec le soutien de la branche régionale de la Caisse d'épargne (Cepac), 17 millions d'euros ont été investis dans la réalisation d'un site à la structure légère, à base de conteneurs spécialement élaborés. " Le tout sans un centime d'argent public ", insiste Xavier Giocanti, qui prévoit déjà une deuxième tranche sur un terrain voisin.
Si, à Paris, l'activité de textile en gros s'épanouit en banlieue, à Marseille, elle reste historiquement implantée dans le quartier de Belsunce, entre Canebière et gare Saint-Charles (1er). Un lacis de ruelles et de petites places dans lesquelles elle s'étouffe, tout en asphyxiant le flux urbain, par le va-et-vient incessant des marchandises.
Yinde Zheng a des étoiles dans les yeux en faisant visiter Rosantine, son espace de 290 m2 dont il peaufine l'aménagement, lot 23 de la rue Shanghaï du MIF68. Ce Chinois de 44 ans, grossiste en bijoux fantaisie, travaille depuis plus d'une décennie dans une boutique de 40 m2 de vente et 30 m2 de stockage en plein Belsunce. " Ici, tout sera plus facile, témoigne-t-il. Au centre, nos clients tournent parfois deux heures sans trouver une place et repartent sans acheter. " " Ce projet n'a rien de visionnaire, reprend M. Giocanti. Le marché de fruits et légumes était au centre, la criée aux poissons sur le Vieux-Port… Aujourd'hui, ils sont dans les quartiers nord plus facilement accessibles. Le textile ne fait que suivre. "
Le MIF68 possède une position logistique idéale. En surplomb du port industriel, à vingt minutes de l'aéroport Marseille-Provence et à l'intersection des autoroutes qui desservent la ville par le nord et l'ouest. Une situation qui, espèrent les promoteurs du projet, devrait séduire une clientèle de professionnels venus par bateau du Maghreb et de Corse, par la route d'Espagne, d'Italie ou du sud de la France.
La naissance du MIF68, saluée par les collectivités locales, inquiète malgré tout certains élus. D'autant que Marseille subit déjà une crise violente de ses commerces de centre-ville, provoquée par l'éclosion de nombreuses galeries commerciales. La maire du 1er secteur, Sabine Bernasconi (LR), est à l'initiative d'une réflexion avec les membres de la communauté chinoise et le consul de Chine à Marseille quant à l'avenir des espaces qui pourraient être abandonnés par les grossistes à Belsunce. " Nous aimerions réorienter leurs boutiques vers une activité de détail qui valoriserait la présence historique de la communauté chinoise dans ces quartiers ", explique-t-elle. Un " Chinatown " avec restaurants, traiteurs, petites boutiques et " si l'Etat chinois accepte de la financer, poursuit l'élue, une maison de la Chine ".
Le risque de voir le MIF68 aspirer toute l'activité de Belsunce reste pourtant modéré. Seule une vingtaine de ces grossistes a décidé de rallier le nouveau site. Les autres sont notamment rafraîchis par le coût des loyers. Dans sa boutique flambant neuf, Yinde Zheng confirme : " Ici, je paie 2 280 euros pour 170 m2. C'est deux fois plus qu'à Belsunce. Il va falloir que mon chiffre d'affaires suive. "
Gilles Rof