C'est le temps des vux et des bonnes -résolu-tions. Que souhaiter pour l'année qui vient ? Avec l'affaire Weinstein, 2017 s'est achevée sur une sorte de crise de nerfs internationale, peut-être -salutaire, mais triste tout de même : cela ne tourne plus rond entre les hommes et les femmes dans nos sociétés. Et les moyens pour combattre ces maux ne nous entraînent-ils pas dans un cycle -littéralement interminable ? On ne sait que penser. Ce qui s'apparente à une guerre des sexes a surpris tout le monde après des décennies d'évolution vers la mixité dont on peut dès lors se -demander si elle n'aurait pas -atteint ses limites.
Certaines entendent d'ailleurs faire sécession : ici ou là, on voit se créer des communautés de vie, des clubs de femmes, des salles de sport exclusivement féminines, des bus interdits aux hommes… Les raisons, le plus -souvent, ne sont pas religieuses. Sont plutôt invoqués par celles qui s'y essayent la douceur, le confort -de l'entre-soi, la baisse de l'impératif esthétique des corps, bref une trêve dans le grand frottement -généralisé -entre hommes et femmes, au cur d'univers citadins de plus en plus sexualisés par une publicité -omniprésente.
De prime abord, on peut s'en étonner car la mixité, -depuis plus d'un siècle, marche avec le progrès et la -démocratie. La mixité est de genre, elle est aussi sociale. Elle fut utilisée comme un moyen et bientôt prônée comme une valeur. Souvenons-nous qu'en 1968 – il y a cinquante ans cette -année –, tout commença par la -revendication d'un accès égal aux chambres des internats, puisque les garçons avaient le droit de recevoir les jeunes filles mais pas -l'inverse ! Les statuts des résidences universitaires sont alors jugés - " médiévaux " par les -étudiants d'Anthony, de Nanterre mais aussi de Rennes, qui s'apprêtent à faire tomber la société de leurs pères…
Intimité des corpsLa mixité fut un combat qui, après 1968, prit encore -quelques années pour gagner toutes les sphères -de la société. Finalement, elle a vaincu. Rares sont -aujourd'hui les -espaces non mixtes ; essentiellement ceux qui mettent en jeu l'intimité des corps – les vestiaires, -les wagons-lits des trains de nuit (lorsqu'ils fonctionnent encore) et -enfin, mais plus toujours, les toilettes. Pour le reste, -l'Académie française est ouverte aux -femmes -depuis 1980 et il n'y a guère que le jury du prix Femina -qui assume avec fierté son statut -d'amazones des -lettres françaises !
Une telle situation est, en fait, unique dans l'histoire. La plupart des sociétés du passé ont institué et jalousement préservé des espaces d'homosociabilité. C'est vrai de nombreuses sociétés exotiques qui, tels les -Bororo étudiés en Amazonie par Claude Lévi-Strauss, aménagent au sein du village, en l'occurrence au centre, une - " maison des hommes " accueillant le repos et les jeux et où règne, d'après l'ethnologue, une " jovialité masculine ". Les -choses de l'amour prennent place dans les huttes des femmes, tout autour. Plus près de nous, au XIXe siècle, les clubs et les cercles de lecture, les loges maçonniques et les corporations d'étudiants, mais aussi les débits de boisson ou la salle d'armes sont les abris d'une sociabilité exclusivement masculine. Tandis que, du côté -des femmes, les lavoirs dans les villages, la -cérémonie du thé chez les bourgeoises ou encore, d'une autre -manière, les couvents ne tolèrent la présence d'aucun homme. L'école, l'usine et, plus tard, le service militaire sépareront les sexes plus massivement et d'une -façon plus cœrcitive.
En ces matières délicates, nul modèle idéal. Tout est -affaire d'équilibre et il est à chaque fois à renégocier. Ne consi-dérons donc pas ces îlots renaissants -de non-mixité avec un ébahissement consterné, mais imaginons plutôt qu'ils sont le symptôme -d'un rétablissement spontané d'équilibres rompus, un appel de la longue -durée en -quelque sorte. Plus -subversif même : l'affranchissement vis-à-vis d'une idée de la mixité -absolue qui pourrait être une des -dernières -chimères de l'émancipation infinie. Est-ce à ce prix que nous -pourrons espérer créer -un commerce apaisé entre les sexes ou seulement réapprendre à le -désirer ? -On souhaiterait que l'année 2018 en annonce la promesse…