Ce qu’il avait escompté finit par arriver. Les yeux de Flore se posèrent sur cette bague et elle tressaillit. Prudente, cependant, elle ne laissa rien voir de son trouble et se contenta de poser une question muette de ses yeux d’azur rivés sur ceux de Robin Narquois, qui commença de respirer en se disant :|

« Voici enfin un pas de fait. Cornes et griffes 1 ce n’aura pas été sans peine. >

F.t des yeux, à son tour, il exprima clairement : « C’est lui qui m'envoie », cependant qu’il recommandait la circonspection et désignait d’une manière significative Simonne, témoin impassible et obstiné. En lui-même, il se disait que la jeune fille trouveraix bien moyen d’écarter un instant l’importune surveillante.

Un incident,leur vint en aide. On frappa un coup discret à' la porte extérieure. Simonne, qui avait l'oreille fine, entendit fort bien, mais fit la sourde oreille. Ce que voyant, Flore, de sa voix douce, mais avec fermeté, dit :

—    N’entends-tu pas qu’on frappe ? Va ouvrir, ma bonne Simonne.

Simonne n’osa pas résister à l’ordre formel. Elle se leva en maugréant et partit en courant, résolue à revenir au plus vite.

—    Je suis l’écuyer des sires de Passavant et de Talazar, qui m’envoienC vers vous. Vous me croyez, n’est-ce pas, demoiselle ?,

Ses yeux d’azur fixés sur les siens, sans hésiter, Flore répondit dans un souffle :

—    Oui, puisque vous portez l’anneau de monbien-aimé Milon.

Robin Narquois remercia d’un signe de tête et continua :

—    Le sire de Talazar entreprend un petit voyage, en compagnie du sire de Passavant. On vous dira probablement que

messire Milon est mort. N’en croyez rien, demoiselle, mais faites semblant de le croire. Surtout n’affichez pas une douleur extravagante. Ayez l’air de vous consoler assez facilement de cette mort.

—    Pourquoi ? interrogea Flore,' inquiète.

—    Trop long à expliquer, fit laconiquement Robin Narquois* Le sire de Passavant travaille pour vous, cela doit suffire à vous rassurer. Ce n’est pas tout. Vous n’êtes pas la fille de maître Mercerot. Vous vous appelez Flore, comtesse de Som-bernon, en Bourgogne, non loin de Dijon. Maître Mercerot n’a aucun droit sur vous, aucun, vous entendez ? Ne l’oubliez pas le cas échéant, n’oubliez pas votre nom : Flore de Sombernon, et que nous pouvons faire la preuve comme quoi vous êtes l’unique héritière du nom et du titre.

Flore s’était levée, aussi blanche que la blanche dentelle qui ornait son cou aux contours fins et délicats. Ses jambes tremblaient sous elle et elle ne se maintenait toute droite que par un miracle de volonté. Elle murmura :

—    J’en avais le pressentiment 1

Et joignant les mains elle implora ;

—    Pour Dieu, un mot, monsieur. Mes parents 7... mon père ?... ma mère ?...

Elle avait mis dans ces derniers mots une si pénétrante douceur que Robin Narquois, tout cuirassé qu’il fût, se sentit remué jusqu’au fond des entrailles et ne sut que répondre.

Flore vit son trouble et son embarras. De pâle qu’elle -était, elle devint livide, et elle gémit :

—    Sont-ils donc morts tous les deux ?

»

EÂ REINE ÏSAREAÜ    ’OT

.. r * , w

—    Non, cornes et griffes I s’oublia Robin Narquois bouleversé. Votre mère vit I

—    Ma mère I répéta Flore avec la même ineffable Jouceur. Ma mère !... Où est-elle ?... Que fait-elle ?... Pourquoi ne suis-je pas avec elle ?...

Robin Narquois comprit ce qu’il y avait de douleur contenue, d'angoisse poignante et peut-être de reproche involontaire dans ces questions. Il devina en même temps celles qu’elle n’osait formuler.

—    Votre mère, dit-il précipitamment, sans parvenir à refouler l’émotion qui l’étreignait, votre mère er.t une innocente et malheureuse victime de la plus sombre fatalité qui se soit jamais appesantie sur une créature humaine. Votre mère, vous devez l’aimer et la vénérer, car elle n’est pour rien dans votre malheur, qui fut aussi le sien. Votre mère, depuis de longues années, vous cherche et vous appelle... comme vous l’appelez, vous, depuis que vous savez qu’elle existe.

—    Ma mère ! murmura Flore extasiée, ma mère !... Oh I jô vous en conjure, monsieur, dites-moi... où est-elle ?... Je voudrais tant la voir, la connaître, la presser dans mes bras... la consoler, car elle doit être bien malheureuse, je le sens, je le devine. Dites, où est ma mère ?...

Robin Narquois secoua douloureusement la tête.

—    Vous ne pouvez la voir encore, dit-il.

~ Pourquoi ?

—    Elle ne pourrait vous reconnaître, essaya d’expliquer Robin narquois fort embarrassé. Puis, demoiselle, sachez que vous avez des ennemis puissants, qui vous poursuivent de leur haine, qui s’acharnent 4 votre perte. Si vous êtes vivante, c’est que vos ennemis vous croient morte. Ils ne soupçonnent pas que la fille de maître Mercerot est l’héritière du comte de Sombernon. Votre mère, ils la croient morte, comme vous. S’ils apprennent qu’elle vit encore, si vous la leur désignez, sans le vouloir, sans le savoir elle meurt... est c’est vous qui l’aurez tuée.

Flore chancela, un sanglot déchira sa gorge, et pourtant elle insista :

—    Ne puis-je la voir... la voir seulement ? Je vous jure que nul ne saura. Pas même ma mère, s’il le faut. Je saurai me contenir, je vous le jure !

Robin Narquois n’avait sans doute pas prévu une pareille explosion d’amour filial. Son embarras ne faisait qu’augmenter, et il ne savait quel parti adopter entre se taire ou révéler aussi brutalement la triste vérité à cette enfant qui brûlait du désir de se faire connaître à sa mère.

A ce moment, il perçut un glissement furtif dans le couloir. Il fit un signe à Flore qui, tremblante, se laissa tomber sur son siège et reprit machinalement la broderie qu’elle avait quittée pour recevoir le visiteur amené par son père. Quant à Robin Narquois, sans se troubler, il se mit à nasiller sur un mode aigu :

—    Oui, demoiselle, figurez-vous que ces jolies petites mains qui manient si dextrement la soie de cette éclatante broderie ont fourragé la rude moustache que voici, tandis que ces lèvres roses gazouillaient : mma !... mma !... Vous me preniez pour votre mère, la digne dame Mercerot. Et j^vec;lytrg-rqs rire,: c’est bien Ta première fois qu’on ma pris nhe/• îei^me..

Simonne, qui écoutait à la porte, compile juste, ner voulut